François Fillon, la paille, la poutre et le bien commun

L’honneur d’un homme d’État défaillant est jeté sur la place publique. Est-ce bien raisonnable ? La France s’en sortira-t-elle mieux ? Un homme public se juge sur ses actes publics.

FRANÇOIS FILLON n’est pas parfait, c’est le scoop du mois. En deux mots, l’ancien parlementaire aurait pu conserver ses indemnités pour lui, il les reverse à sa famille. Le procédé n’est pas glorieux, certes, mais cela suffit-il à juger l’homme ?

Toute bonne politique est morale, mais ce n’est pas un moralisme. Sa noblesse est d’abord dans son humilité : elle accepte les limites de la réalité humaine pour faire progresser le bien et le juste, avec des hommes imparfaits, dirigeants compris. Sa voie est le meilleur possible.

Ce réalisme moral est redoutable, mais c’est le martyre de l’espérance qui sait que la perfection est un mythe dangereux. L’alternative, ce sont les purs qui n’ont pas de mains ou les idéologues qui prétendent éradiquer le mal de la planète : leur passion justicière finit toujours par donner le pouvoir aux cyniques. Or les cyniques, ne soyons pas naïfs, sont tout près, à l’affût, ils attendent que le fruit tombe, servi sur un plateau par les indignés.

La paille et la poutre

Rien ne permet de penser que François Fillon mérite un tel opprobre, et j’ai tendance à penser qu’à défaut d’être un modèle, l’homme est plutôt dans la catégorie paille que poutre.

S’il s’agit de choisir un homme d’État, c’est sur sa capacité d’homme d’État qu’il faut le juger d’abord. Si l’exercice consiste à le démolir au prétexte qu’il a péché, quelles seront les conséquences politiques de l’opération ? C’est à l’aune de cette mesure sur le bien commun qu’il faut peser l’accusation.

Moralement, les qualités personnelles nécessaires au gouvernement requièrent du courage, de la sagesse, de l’honnêteté, indépendamment des compétences et de l’expérience. Mais il vaut mieux avoir un chef imparfait avec les moyens de sa politique qu’un mystique irréprochable sans expérience ou qu’un savant inapte au commandement. Si le chef est un saint, nul ne s’en plaindra, mais nous ne vivons pas au Ciel, et il serait opportun de s’en souvenir.

L’argent sale

En France, tout ce qui est lié à l’argent est suspect. Pour le meilleur et pour le pire. Pourquoi de nombreuses consciences de gauche s’opposent à la GPA mais non à l’avortement ? Parce qu’il est question d’argent : le commerce des ventres, ce n’est pas bien. Supprimer une vie, oui, la vendre, non. Cette indignation est heureuse, mais l’on voit bien que la morale est souvent à géométrie variable.

Que penser de ces élus d’une probité personnelle exemplaire prêts à distribuer sans scrupule l’argent des contribuables aux dépens des générations futures ? Comment juger ces responsables politiques donneurs de leçons qui répandent la guerre partout dans le monde au nom des droits de l’homme ? Faut-il applaudir aux hérauts incorruptibles du camp du bien — bons pères, bons époux, piliers de sacristie — qui votent toutes les mesures antifamiliales ? Et que dire de ces porte-paroles du parti de l’ordre moral qui manipulent leurs troupes au nom de la bonne cause en vendant de l’illusion ? Voici des désordres bien plus coûteux et bien plus coupables, mais qui ne choquent personne, à commencer par la justice.

Tout citoyen avisé sait que François Fillon n’est pas exempt de défauts. L’ancien Premier ministre vit de la politique depuis toujours, et il vit comme le monde politique d’aujourd’hui, avec toutes ses faiblesses. En l’espèce, il aura sans doute été plus imprudent que véreux, car il doit inspirer confiance. L’homme politique qui veut conduire un peuple libre a pour mission de guider les consciences : comment le faire sans un minimum de cohérence ? Sa probité revendiquée l’oblige.

Si le candidat des Républicains fut jusqu’alors épargné par les « affaires », ce n’est sûrement pas un hasard. Et s’il est attaqué aujourd’hui comme il l’est, après trente ans de vie publique, ce n’est pas un hasard non plus. Mais l’acharnement des moralistes et des hypocrites à le voir chuter donnera-t-il à la France toutes ses chances pour élire en mai prochain un président de la République plus honnête et plus qualifié ?

L’ange et la bête

La sagesse exige d’abord de juger François Fillon sur son aptitude à mener une politique pertinente. Par exemple, sur sa volonté et sa capacité à redresser les comptes publics pour éviter de faire peser le coût de notre confort sur nos enfants, ce qui est le minimum de la justice, donc de l’honnêteté. En la matière, il peut y avoir débat et discussion, mais c’est le vrai terrain de la politique.

Quant à la justice, si elle doit se prononcer, laissons-la se prononcer, sans se laisser distraire par les vraies priorités. Arracher l’ivraie du monde politique, c’est une autre option mais ce n’est pas de la politique. C’est une dérive puritaine qui nous affranchit de choisir d’abord selon les premières exigences du bien commun. Qui veut faire l’ange fait la bête.

 

Une première version de cet article a été publiée par Aleteia.

Illustration : Domenico Fetti (1591/92–1623), La Parabole de la paille et de la poutre, huile sur bois, Metropolitan Museum of Art.

 

12 réflexions sur « François Fillon, la paille, la poutre et le bien commun »

  1. Surpris par ce qui ne peut être de l’ignorance, c’est donc….autre chose?…

    « En deux mots, il aurait pu garder ses indemnités pour lui, il les reverse à sa famille… »!!!

    NON, et vous le savez très bien. Il s’agissait de denier public, mis à sa disposition pour rémunérer ses attachés parlementaires. En aucun cas l’élu n’est autorisé à le garder pour lui!….

    Le reste de votre argumentaire peut se discuter.

    Nous savons bien que FF avait gagné la confiance d’une partie des chrétiens. Je le suis. C’est leur droit de le soutenir. Dans les limites de l’insoutenable. Et la bonne foi.

    1. Si justement, c’était le cas jusqu’en 2012, il pouvait se verser l’ enveloppe parlementaire non consommée.
      Ce n’est donc peut-être pas un hasard s’il a lui même mis fin à cette pratique en 2013… Il s’est sans doute aperçu du problème et y a remédié.
      Faut-il s’obstiner à ne regarder que l’erreur ou peut-on aussi regarder la capacité à se relever, à corriger ?

      1. Peu importe!

        Il y a un million d’euros, oui, un million d’euros, et de l’argent public, oui, ne soyons pas jésuites!, qui sont tombés dans les poches de la famille Fillon et qui auraient pu rémunérer d’autres personnes, nombreuses, qui en auraient eu infiniment plus besoin qu’eux….

        Légal ou pas, et je tiens pour probable que tout ne l’ait pas été, ça ne vous gêne pas? En tant que chrétien???

        Moi, OUI!

        Pourquoi diable est-ce que cela me fait penser aux biens de l’Église, avant 1905 et encore bien avant?

        La religion, les religions, c’est à dire la foi, dans le monde actuel, ne sont pas le problème.
        Le problème, c’est ce que les hommes en font. Depuis 2000 ans et bien plus encore pour d’autres religions que la nôtre.

        François Fillon, de mon point de vue, et même si les enquêtes judiciaires sont classées sans suite, a déshonoré la chrétienté……dont, contrairement à d’autres, je ne critiquais pas qu’il se réclamât….jusqu’à ces révélations!…

    2. D’après mes informations, l’indemnité du parlementaire a une origine publique mais ce n’est pas pour autant de « l’argent public ». De même que le traitement d’un fonctionnaire, d’origine publique, n’est pas de l’argent public. Le député Julien Aubert a montré que si la Cour des comptes ne contrôle pas l’usage de ces sommes, c’est qu’il ne s’agit plus de deniers publics dès lors qu’ils sont reçus par le député, qui en dispose à sa guise, selon ses nécessités. Le député peut choisir de salarier ses collaborateurs comme un employeur privé, avec des contrats de droit privé. En outre, à l’époque des faits, la non-consommation de l’enveloppe collaborateurs revenait de droit au député employeur.

        1. Cher Monsieur, vous passez à côté du sujet. Que les pratiques salariales ou comptables de M. Fillon soient contestables, je n’en disconviens pas, mais il faut les proportionner aux enjeux. Si vous avez une alternative plus morale ou plus « chrétienne » à proposer, réellement crédible – car il ne s’agit pas de donner son opinion ou d’exprimer un désir mais de peser les meilleures options pour la France, je vous suivrai volontiers.

          1. Entièrement d’accord avec vous. Certes, Monsieur Fillon a fait des erreurs, surtout des erreurs d’ordre moral, qui seront, ou pas, reconnues, laissons faire la justice ! Le plus important pour le moment c’est l’avenir de notre pays ; nous avons deux solutions (à mon humble avis) : soit nous votons pour M. Fillon, soit nous votons pour Marine Le Pen, ce sont les deux partis qui peuvent prendre les bonnes solutions pour redresser la France. Macron et autres sont à éviter si nous ne voulons pas aller au désastre ! Que chacun se pose les bonnes questions !

      1. Bonjour Monsieur,
        Je crois que le temps n’est plus de jouer sur les mots mais de trouver la solution pour éviter le pire aux prochaines élections. Je pense aussi qu’il faut regarder la capacité à se relever mais cela ne peut se faire qu’en reconnaissant sa faute ou ses écarts. C’est en tous cas mon conseil pour FF. Et ensuite, comme le juste refait toujours surface, les francais qui croient et ont cru en lui pourront peut être pardonner.

  2. La question n’est pas de savoir si la France s’en sortira mieux ou non.

    – Si François Fillon a respecté la loi et s’il a dit la vérité lors de ses interventions devant les médias où il justifie le travail effectué par sa femme et ses enfants, alors il peut être légitimement candidat à l’élection présidentielle.

    – Si en revanche, comme l’annonce sa femme elle-même et contrairement à ce qu’il affirmait, son épouse n’a jamais fait aucun travail qui justifierait les sommes versées, alors il est coupable de fraude et de mensonge avéré devant les français, et il doit être déclaré inéligible. La question « La France s’en sortira-t-elle mieux ? » ne doit en aucun cas intervenir dans l’étude de ce cas.

    Il est impératif pour la survie de la démocratie de soumettre les hommes politiques a la même justice que celle qui s’applique aux autres citoyens. Aucun ne doit être au-dessus des lois, c’est un fondement de la constitution qui, quoique de plus en plus bafouée, est la garante de la démocratie.

    1. Bonsoir

      Sur le fond je peux rejoindre votre avis sauf qu’en cette période la question est de savoir qui peut nous gouverner. Certainement victime d’un dispositif d’usage courant pour les plus puissants (comprendre certains politiques qui se sentent trop souvent au dessus des lois qu’ils nous font subir), les Français ne peuvent pas voter pour une personne qui va leur demander les efforts nécessaires pour redresser la France tout en sachant que cette même personne a hélas profité du système même s’il ne pensait pas faire mal.

  3. Dans Le Figaro de ce jour Natacha Polony écrit : « Dans l’affaire Fillon comme dans celle de l’EPAD, (Référence à NS qui souhaitait placer son fils de 23 ans à la tête de cet établissement) ce n’est pas la légalité qui est en cause mais la décence, ce mot cher à Georges Orwell et qui désigne une morale spontanée, avant toute référence à des principes religieux, toute norme conventionnelle. Le sens de ce qui ne se fait pas. »

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