Présidentielle 2022 : l’enjeu
du troisième tour

Interrogé par l’attraction du vote Zemmour qui réunit 15% d’intentions de vote chez les catholiques pratiquants réguliers (VP : 26% ; EM : 21% ; MLP : 15% ; JLM : 7%), je livre quelques réflexions personnelles sur le positionnement politique du fondateur du parti Reconquête et sur le véritable enjeu du scrutin pour dégager un critère de vote. En préalable, je rappelle quelques principes politiques pour guider, de mon point de vue, un vote catholique.


IL Y A DEUX MANIERES DE VOTER : de manière subjective, en se faisant plaisir, ou de manière objective, pour le bien commun. Le vote ne décide pas du bien et du mal, et voter seulement pour exprimer une opinion, une humeur ou un désir peut avoir des effets contraires à son bien politique, indissociable du bien commun.

10 principes pour un vote catholique

1/ La politique n’est pas le tout de l’existence humaine.

2/ L’engagement politique du chrétien ne se prend pas pour Dieu. Son espérance n’est pas de ce monde. Sa mission est de faire le bien (Jr 29, 5-7), même en milieu hostile, et de libérer la politique de ses idolâtries.

3/ Les catholiques sont unis sur les principes, mais peuvent diverger sur les moyens et les stratégies à mettre en œuvre, en raison de la contingence de la réalité et de la liberté humaine.

4/ La politique est le lieu d’une action collective imparfaite. Elle est toujours un compromis.

5/ Le but de la politique est le bien commun présent, pas un idéal futur. Le premier acteur du bien commun est la société civile.

6/ Les premières conditions du bien commun sont la paix sociale et la vertu des citoyens.

7/ Le vote n’est pas l’expression d’une opinion ou d’un désir, c’est un acte politique qui engage le bien commun. Comme tout choix, c’est aussi un renoncement, qui appelle le courage de l’imperfection.

8/ Le candidat est choisi en conscience. Le jugement de la conscience est précédé par le jugement de la prudence (CEC, 1780), car il s’agit de choisir le moyen d’atteindre réellement le meilleur possible.

9/ Le candidat est choisi selon les circonstances du moment pour son efficacité politique à réaliser au mieux les conditions du bien commun.

10/ Le candidat est choisi selon des critères politiques : personnalité (moralité, expérience, compétence), pensée politique et moyens politiques (composition de son électorat, capacité de rassemblement).

L’option Zemmour

Une fois dit cela, que penser du vote Zemmour ? L’homme a eu le grand mérite d’imposer dans le débat la question centrale de toute bonne politique : la nécessité de construire et de guider un peuple sur une culture reçue et partagée. La première phase de la campagne a montré que cette intuition répondait à l’attente d’une grande partie des Français. De plus, il a eu le mérite de manifester une réelle liberté de parole dans le diagnostic apporté sur les causes profondes du délitement du lien social (l’unité sociale étant la première condition du bien commun). Ce courage a été salué par des parlementaires (F.-X. Bellamy) ou des intellectuels (Marcel Gauchet) regrettant le conformisme des idées et la lâcheté des élites, obsédée par les tabous qui musèlent la classe politique dans son ensemble.

Mais Z a cassé la force de son message. Son entrée en politique ne pouvait pas s’improviser sur un coup de poker. Il a transformé l’axe central de sa politique en dialectique de l’exclusion : l’élimination du bouc émissaire. Ce faisant, il a trahi ce qui faisait la vertu de son positionnement : le « grand remplacement » de la pensée unique, du gouvernement par les experts (le paradigme technocratique et du multiculturalisme), des mythes idéologiques, de la primauté de l’économie, par le retour de la politique, c’est-à-dire le respect du réel et la liberté de la raison dans la société civile. Peut-être plus grave, il a fait de la culture française qui constituait sa marque, une culture du rejet, une culture négative, au lieu d’en faire une culture positive et sans complexe parce qu’enracinée. Cette approche dialectique a transformé une vision alternative, demandant de la patience et de l’éducation, en produit marketing sur le marché des « valeurs » partisanes.  

Une stratégie trop dialectique

Ce basculement dans la politique du rapport de force lui a été fatal. C’était peut-être un malentendu, l’homme étant plus proche de Bonaparte que d’Aristote ou Tocqueville. La création d’un parti va l’aligner sur les autres forces en présence, banaliser son offre politique en idéologie de substitution dans une niche condamnée à réussir les compétitions électorales à coups de calculs marketing. Sur le marché de ses « valeurs », il aura des clients, qui constitueront une minorité de plus. L’intellectuel rompu au débat a tué son autorité politique en idéologisant sa pensée, c’est-à-dire en la simplifiant à l’extrême comme une solution magique pouvant s’imposer non par la vertu de la vérité qui libère, mais dans le rapport de force, alors même qu’il n’est pas en mesure de soutenir ce rapport de force. Il a cru qu’il pouvait tétaniser ses adversaires par la magie du verbe, là où la politique classique cherche à faire le bien moral, à résoudre des problèmes, avec le temps nécessaire.

L’homme n’a aucune expérience de gouvernement, et n’a pas de sens politique. Une chose est d’avoir le courage de dire la vérité, d’avoir l’art de la formule sur un plateau de télévision, autre chose de mobiliser un peuple dans la construction du bien, de sentir le terrain, de s’adapter aux circonstances. Les mensonges de l’establishment sur les effets calamiteux d’une immigration de moins en moins assimilée faute de courage culturel exaspèrent les Français, mais ce n’est pas le cœur des attentes des Français qui se lèvent tôt et qui n’ont pas tous à leur porte une famille d’immigrés le couteau entre les dents. Zemmour n’a pas su l’estimer. Son horreur de la démagogie l’a rendu insensible. Là où il a bien vu le défaut structurel de Marine Le Pen (la démagogie partisane, étatiste et sécuritaire) et l’opportunité de proposer une alternative raisonnable, il s’est enfermé dans la posture simpliste et radicale de celui qui ne lâche rien sur la doctrine du parti, en endossant la caricature de la réaction. Bref, il a réussi à prendre la place de Marine Le Pen dans le rôle de l’épouvantail, alors même que son électorat est sans doute plus modéré que celui du RN. Belle performance !

En outre, ce n’est pas un chef : il a délégué sa stratégie de campagne et l’animation de ses troupes à d’autres, se réservant le pilotage du discours et des débats. Un chef ne peut être seulement un débatteur. Il n’a réussi à élargir son entourage qu’en profitant simplement des archaïsmes du Rassemblement national que les esprits un peu libres ne supportaient plus en interne.

L’avenir de l’option Zemmour

Reste deux questions : ses moyens politiques et son avenir.

Ses moyens politiques se limitent pour le moment à l’écho médiatique de sa nouveauté politique et aux adhérents de son parti (130.000 dit-on), mais il n’y a rien de plus volatil que les adhérents d’un jeune parti, surtout si celui ne répond pas à ses attentes. L’autre atout est sa faveur dans l’opinion et les intentions de vote. Les résultats du 1er tour valideront ou non la réalité de son pouvoir de bienfaisance ou de nuisance politique. Son potentiel repose aujourd’hui sur l’aile droite filloniste qui a quitté Valérie Pécresse et marginalement sur l’aile droite du Rassemblement national (qui reste un parti de gauche nationaliste). La question est de savoir si son résultat au 1er tour constituera ou non un socle solide pour bâtir une dynamique politique solide. 10%, ce serait à la fois considérable pour une entrée en piste et extrêmement fragile si les défauts du positionnement de Reconquête ! sont structurels.

La première indication sera donnée par les résultats aux législatives. Or autant un succès à la présidentielle peut contribuer à installer une force parlementaire conséquente, autant un échec, à la mesure des résultats espérés à l’origine, peut figer le parti dans une impasse, faute notamment d’ancrage territorial. Qu’on le veuille ou non, le système électoral et la tradition politique française privilégient la capacité de rassemblement, ce qui contribue à cornériser durablement les partis au positionnement trop clivants. À vues humaines, R ! n’obtiendra qu’une extrême minorité d’élus.

Dans l’hypothèse où il créera la surprise au 1er tour, même un succès relatif autour de 15% ne lui donnera guère d’élus. Vae victis. S’il opte pour une stratégie partisane (seul contre tous), il ne contribuera qu’à neutraliser les voix de ses électeurs dans les scrutins à suivre. S’il soutient Marine Le Pen au second tour, il se grillera auprès de ses électeurs qui précisément n’ont jamais soutenu le RN en raison de ses simplismes idéologiques. Les choix du Z seront intéressants à cet égard, mais dans tous les cas de figure, sauf à sortir de son radicalisme idéologique, il sera marginalisé. Il ne lui restera que l’option de s’installer dans une reconquête de long terme, mais qui ne pourra aboutir que s’il prend conscience de ses erreurs structurelles. C’est le seul pari que ses électeurs doivent faire, en espérant que son échec ne va pas plomber ni cornériser ses idées pour longtemps, pour sombrer comme le MPF par exemple a sombré.

L’enjeu du 3e tour

Si Marine Le Pen est élue au second tour, ce qui n’est pas exclu (66% des Français veulent changer de président), celle-ci n’aura certainement pas de majorité parlementaire. Elle obtiendra un nombre de députés conséquents, mais cernés par le cordon sanitaire d’une coalition « républicaine » constitués par une alliance LREM-LR qui imposera son Premier ministre et son gouvernement. Dans ce scénario, Zemmour ne sera qu’un petit parti supplétif. Si Macron rempile, la déroute Pécresse cassera LR, dont une partie des élus ralliera un nouveau parti présidentiel.

Pour toutes ces raisons, je pense que l’option Zemmour est une impasse. Le seul enjeu est la constitution d’une opposition parlementaire musclée en mesure de contrôler le prochain président de la République. L’élection présidentielle se joue à quatre tours (présidentielle plus législatives). Autrement dit, il faut voter au 1er tour pour le candidat/la candidate qui permettra l’élection du plus grand nombre d’élus efficaces et bien orientés en mesure de peser politiquement. Si les dynamiques parlementaires RN et R ! sont a priori condamnées à l’échec, dans tous les scénarios, c’est du côté des Républicains qu’il faut se tourner. Dans la configuration actuelle, quel que soit l’élu du 2e tour, le désastre Pécresse va probablement provoquer une explosion du parti LR. Le scénario LR idéal serait la reconstitution d’un parti conservateur type Républicain indépendant, derrière des Retailleau, Bellamy, Aubert, Wauquiez, Ciotti… Ce parti pourrait attirer naturellement les électeurs fillonistes tentés par Zemmour. On peut même imaginer que les zemmouriens raisonnables se rallient à cette nouvelle offre politique. Dans tous les cas de figure, l’enracinement local du parti LR va lui permettre l’élection d’un grand nombre d’élus (au moins entre 50 et 100, voire plus selon les résultats des 1er et 2e tours). Même si le résultat probable de Pécresse n’aura que peu d’influence directe, plus elle aura de voix, plus elle aidera les députés LR — je pense en particulier aux catholiques Marc Le Fur, Philippe Gosselin, Xavier Breton… — à être élus ou réélus, pour constituer l’ossature d’une opposition de qualité.

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