COMME IL EST RAFRAICHISSANT de lire un homme politique qui parle de la France comme une réalité charnelle, une personne, une histoire, un patrimoine, et non comme une « idée ». Il est vrai que Charles Beigbeder est d’abord un chef d’entreprise, un créateur. Pour lui, la France ce n’est pas un concept et ce n’est pas l’État, même si l’État dans son acception française a joué un rôle inédit dans la constitution de l’identité nationale. Dans une société de plus en plus fragmentée, dans un pays qui ne sait plus s’aimer lui-même, devant le défi de l’islamisme radical et d’une immigration incontrôlée, la laïcité ne suffit pas. Il faut retrouver la France, et déconstruire les idées fausses qui l’ont corrompue, moins en elle-même que dans l’esprit des Français eux-mêmes, devenus incapables d’affronter l’avenir avec leur ressource première, leur identité commune, la terre de leurs pères, leur patrimoine, leur identité.
L’auteur ne se contente pas de dire la France, il s’interroge sur les causes profondes du mal français. Pour lui, la crise vient du contrat social et du messianisme révolutionnaire à l’origine de « l’imposture des valeurs républicaines ». La France ne se reçoit plus : elle est devenue une construction sans racine, un modèle purement procédural : « La France est réduite à n’être que ce perpétuel mouvement, cette fluctuation des volontés pouvant tout décider un jour pour voter son contraire le lendemain. »
L’originalité de Beigbeder n’est pas dans un programme — même s’il a des idées, notamment d’ordre constitutionnel — mais dans sa volonté de refonder une politique sur la culture. Étonnant pour un homme qui a d’abord fait ses preuves dans les chiffres. « Pouvons-nous nous contenter d’une société matérialiste et individualiste qui évacue la question du sens et la recherche d’une transcendance ? » Nul confessionnalisme pourtant dans son approche : « Il n’est pas question ici de religion, mais de culture dans son sens le plus profond. » Pour lui, la question culturelle précède et fonde la question sociale et non l’inverse. Un rappel qui rejoint le constat de bien des penseurs de la postmodernité : affranchie de son terreau chrétien, la Modernité et ses avatars, comme la déesse laïcité, ne pouvaient que dérailler. Il faut donc retrouver le christianisme, « soubassement culturel indispensable à tout projet de renaissance française ».
En se disant « charnellement de France », Charles Beigbeder est « spirituellement de l’homme » explique Charles Millon dans sa préface. Autrement dit, sa politique est d’abord une anthropologie, et une anthropologie qui intègre la nation comme élément constitutif de l’homme, animal politique raisonnable. Dans « l’ère bénie du multiculturalisme apatride », la politique idéologique des valeurs abstraites (égalité, non-discrimination, tolérance, démocratie, droits de l’homme) débouche sur la démesure. La nation charnelle constitue un rempart contre cette dérive totalitaire, incantatoire et vide de sens. La France elle-même, faut-il le rappeler, ne fut grande, universelle, que dans son amour des limites, dans la logique du royaume contre celle de l’empire. C’est là son génie, il faut le retrouver pour redonner à la politique sa noblesse et sa fécondité.
Puisant aux sources de Burke, Chesterton, Péguy, Finkielkraut, Manent, Delsol, cet essai politique très documenté, d’une lecture facile, confortera les Français qui ne veulent pas se contenter de servir la France en la gérant mieux que les autres, ou de la sauver à coup de recettes impossibles. Les propositions institutionnelles de Charles Beigbeder pourront faire débat (sur le réenracinement culturel de la Constitution, le mandat des élus, la place des partis, le recours au referendum), elles illustrent bien ce que pourrait devenir la « République de France » qu’il appelle de ses vœux.
Charles Beigbeder
En collaboration avec Benoît Dumoulin
Charnellement de France
P.-G. de Roux, 2016, 243 p., 22 €