Un modèle de procès politique

A propos de Jacques Trémolet de Villers, « Jeanne d’Arc, le procès de Rouen » (Belles Lettres).

LA PREMIERE VERTU du livre de Jacques Trémolet de Villers est de permettre de se réapproprier les merveilleuses mais tragiques minutes du procès de Jeanne. L’avocat s’efface d’abord derrière le saint génie de sa cliente post mortem, vivante pour l’éternité. Il intervient discrètement, comme en coulisse, au cours des cent jours de ce terrible jugement pour nous aider à prendre la mesure du drame qui se joue, la bataille entre la vérité et le mensonge, le droit et l’injustice, la liberté et la compromission, l’Église crucifiée et le péché des hommes, le Ciel et la terre…

La lecture de l’avocat, grand spécialiste des procès politiques, est d’abord celle de l’affrontement judiciaire. La pauvre petite accusée, dix-neuf ans quand on y songe, assaillie par une légion d’accusateurs mitrés et savants, menteurs comme il n’est pas permis, va mener les débats comme un combat : « Elle ne sait rien, hormis l’art de la guerre », disait-on, et elle s’est battue en chef de guerre au sommet de son art. Dans tout procès, explique Me Trémolet, « la règle première, qui dépasse toutes les autres règles, c’est que le juge conduit le procès ». Avec Jeanne, « c’est sur un ton calme et serein, la subversion de l’institution devant laquelle elle comparaît ». C’est elle qui mène les débats, qui balade les juges et les renvoie dans les cordes de leurs contradictions, ne tombant dans aucun piège. « Elle se pose en maître du temps. » Prudente, elle a refusé l’assistance d’un avocat commis d’office. Elle se bat seule.

La vérité ou le mensonge

Mais voici les juges tenus d’attendre ses réponses, coincés par leur victime.

Malheureusement, ils sont les plus forts, car ils ont un objectif obligatoire : la mort de Jeanne. La lecture des soixante-dix articles de l’acte d’accusation est un concentré de mensonges effarants. « Ce texte est une véritable anthologie, explique l’avocat. Le lecteur attentif y trouvera le modèle de tous les procédés de rhétorique utilisés par les accusateurs des procès politiques ou idéologiques, avant Jeanne, après elle et de nos jours : affirmations sans preuve, déluge de qualificatifs méprisants, diffamatoires ou injurieux, enflures verbales et surabondance de termes prétendus savants, pour essayer, par la répétition jusqu’à la nausée, de faire croire à la consistance d’une accusation qui, en réalité ne repose sur rien. »

Jeanne ne peut qu’opposer, interminablement, sa libre dépendance à la vérité : « J’en ai déjà répondu. » L’écrivain Jacques Trémolet est bluffé par la beauté de la langue de la petite Lorraine. Son explication est simple : la bergère de Domrémy a été instruite à bonne école durant sept ans, tous les jours ou presque, par ses Voix. Sa langue est la langue du Ciel.

L’avocat boucle son analyse jour après jour du procès par un « Envoi », qui se veut une lecture de théologien ébloui par la clarté de l’enseignement de Jeanne. Jeanne et l’État, Jeanne et le droit, Jeanne et la guerre, Jeanne et l’Église, Jeanne et la laïcité… elle a tout dit. Ses pages sur Jeanne, modèle insurpassable du laïcat catholique justifient à elles seules son appel à une reconnaissance de la sainte comme docteur de l’Église. Mais elle enseigne aussi sur le rapport de Dieu et l’Église, sur le rapport de l’ordre surnaturel et l’ordre naturel, sur le droit des juges à juger et les limites du droit…  Une sainte pour notre temps.

 

Jacques Trémolet de Villers
Jeanne d’Arc, le procès de Rouen
Les Belles Lettres, 2016, 315 p., 24, 90 €

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