Miséricorde et politique

Au cœur de l’Année de la miséricorde, réflexion sur le thème difficile de la relation entre miséricorde et justice en politique. Au coeur de ces deux exigences indissociables : la vérité.

DANS UN MONDE où tout est politique, le message de l’Église sur la miséricorde est largement interprété selon les critères du libéralisme dominant. Mais que sait-on réellement de la miséricorde ? Que sait le monde de la miséricorde divine ? Que savent les chrétiens de la dimension sociale de la miséricorde ?

Le dernier numéro de Liberté politique (été 2016) aborde ces questions sous un angle assez technique, et précisément canonique, autrement dit selon le droit de l’Église. Le droit ecclésial est mal connu des catholiques eux-mêmes, et pourtant il est une source de compréhension inégalable de l’enseignement de l’Église et de sa mission. À travers l’organisation de sa vie, il exprime une intelligence pratique de la foi qui éclaire ce que dit l’Église de l’homme et des relations sociales. En son sein, mais aussi pour le monde. Ce n’est pas d’abord un corpus judiciaire, c’est une vision et une sagesse.

Deux exigences sociales : la miséricorde et la justice

Le père Bernard du Puy-Montbrun, doyen émérite de la Faculté de droit canonique de Toulouse, explique que miséricorde et justice sont deux vertus distinctes, mais inséparables. Comment conjuguer pratiquement leur double exigence ? La tradition chrétienne ne réduit pas l’homme à son péché, mais elle condamne le péché. « Va et ne pèche plus » (Jn 8, 11). L’enfant prodigue est accueilli sans réserve, mais après avoir avoué sa faute. Il s’agit de transformer le pécheur en juste, pas d’éradiquer le mal comme les idéologies prétendent le faire (en l’aggravant).

L’appréhension de cette double exigence dans l’ordre public résume à elle seule une grande part de l’histoire des idées politiques. L’Église n’a jamais confondu l’universel religieux —« Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme… » (Gal 3, 28) — avec l’universel politique. La miséricorde ne peut tenir lieu de politique, mais une politique sans juste miséricorde s’expose à des dérives préjudiciables au bien commun. Le bien commun redoute plus que tout le cynisme et la naïveté. La justice précède la miséricorde, répond le père du Puy-Montbrun. Mais les principes de la justice s’inscrivent dans l’ordre de la création voulu par le Père de la miséricorde… La miséricorde précède donc la justice. Pas simple !

Entre la justice et la miséricorde : la vérité

Nous pouvons résoudre la difficulté en méditant sur le lien entre miséricorde et vérité. Il n’y a pas de justice sans vérité, tout le monde s’accorde là-dessus. Or la vérité est miséricorde. Pourquoi ? parce qu’elle est un don gratuit. Elle se donne toute à tous, librement. Elle n’appartient à personne, a fortiori à ceux qui la manipulent ou la théorisent de manière abstraite. Elle ne se prend pas, elle se reçoit : « elle est indisponible » écrit l’archevêque de Trieste Mgr Giampaolo Crepaldi dans le dernier Bulletin de l’Observatoire Cardinal-Van-Thuan.

La vérité est miséricordieuse, car son objectivité est libératrice. Dans la création, dans notre existence, chacun peut voir qu’il porte en lui une vérité universelle qui ne lui appartient pas et qu’il ne mérite pas. Aujourd’hui, on croit volontiers que pour être miséricordieux, il faut contourner la nature. Ce serait une miséricorde arbitraire qui créerait le désordre. La vérité miséricordieuse est également libératrice parce qu’elle ne veut pas gagner. Elle a déjà gagné. Pour l’emporter, il lui suffit d’attendre. Elle supporte toutes les violences et toutes les impatiences, elle ne dépend ni des caprices ni des ambitions [1].

En politique, plus l’homme d’action sait contempler la vérité qui ne change pas, plus il domine les situations, plus il devient patient, compréhensif et miséricordieux. Plus il écoute, plus il est écouté, avec l’autorité de celui qui ne trahit pas la vérité. S’il va à la vérité, il va à la miséricorde, s’il va à la miséricorde il va à la vérité.

 

[1] Cf. Mgr Giampaolo Crepaldi, Bollettino di dottrina sociale della Chiesa, marzo 2016, n° 1-anno XII.

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