Congrès « Mission » : de 1992 à 2017, le même désir d’innovation et de fidélité

À l’occasion de l’édition 2017 du congrès Mission, Claire Kesraoui m’a interrogé pour France catholique sur le lointain congrès Mission de 1992 et les points communs entre les deux initiatives. Innovation et fidélité dans l’unité : les temps changent, l’Église ne vieillit jamais.

DEPUIS 2015, le congrès Mission organisé par les équipes de Raphaël Cornu-Thénard (Anuncio), Samuel Pruvot (Aïn Karem), Florence de Leyritz (Cours Alpha) et Arnaud Bouthéon, en partenariat avec la Communauté de l’Emmanuel, réunit chaque année les chrétiens qui se sentent appelés au réveil missionnaire de l’Église de France. Le temps d’un week-end à l’automne, les participants réfléchissent ensemble aux moyens concrets de proposer la foi dans les familles, au travail, sur l’Internet, dans l’espace public.

France catholique. — Avant le premier congrès Mission en 1992, il y eut le congrès des « Apôtres pour l’an 2000 » à Versailles en 1988 : comment sont nées ces initiatives ?

L’intuition d’origine était de montrer aux jeunes catholiques que la « nouvelle évangélisation » à laquelle les appelait Jean Paul II n’était pas la mer à boire, mais consistait d’abord à vivre en chrétien à travers son devoir d’état, sans complexe, quel que soit son état de vie. La méthode était celle du témoignage : réunir tous les visages de l’Église de France, à travers la réalité de ses fidèles et de leur vie, pas nécessairement connue, et leur extrême diversité. Montrer que derrière cette diversité – jeunes et moins jeunes, laïcs et religieux, artisans et intellectuels, bien portants et malades, contemplatifs et apostoliques, charismatiques et traditionnalistes, c’était la même radicalité évangélique qui était vécue. 

Quel contexte a permis la création et l’organisation de ce Congrès qui est parvenu à réunir 10 000 personnes ?

La mobilisation a fonctionné en premier lieu comme une réponse proposée par des jeunes eux-mêmes à des jeunes du même âge aux appels du pape Jean Paul II. C’est donc l’autorité du pape et son rayonnement exceptionnel qui ont porté leurs fruits, en raison de la consonnance de son message avec les attentes des jeunes chrétiens. Les grands rassemblements de l’Église à l’époque n’étaient proposés que par les mouvements institutionnels à leurs membres, de manière assez conventionnelle et de plus en plus en décalage avec la réalité de la jeunesse et des familles les plus militantes au sens évangélique. Le congrès se présentait comme une initiative jaillie de la base, mais en étroite coopération avec ses pasteurs, prêtres diocésains, communautés religieuses et évêques – nous y tenions beaucoup car il ne s’agissait pas d’un événement sauvage de chrétiens livrés à leurs impulsions spirituelles. Le rassemblement se voulait un rassemblement de l’Église, du peuple de Dieu à l’écoute de l’Esprit Saint, mais agissant de manière nouvelle, sans ce pédagogisme sclérosant qui avait tendance à fonctionnariser la vie chrétienne.

Entre les deux congrès, 1988 (« Apôtres pour l’an 2000 ») et 1991 (« Mission »), il y eut d’ailleurs un autre événement majeur : les IVes Journées mondiales de la jeunesse à Compostelle en 1989. Là encore, c’est par une réponse spontanée des chrétiens de la base que fut organisé le pèlerinage de 12.000 jeunes venus de toute l’Europe, en dehors des circuits officiels encore réticents.

En quoi le contexte du Congrès Mission depuis 2015 a changé ?

Je ne suis pas dans le secret de sa préparation, mais j’y retrouve le même désir d’innovation créatrice pour annoncer l’Évangile, une créativité qui reste l’apanage de la jeunesse, sans confusion avec un activisme appauvrissant et dans la plus grande fidélité au Magistère.

Depuis les premiers congrès, le contexte a certes changé. La société a accéléré sa sécularisation, et l’Église militante s’est rétrécie encore, mais elle s’est renforcée. À la fin des années 1980, nous bénéficiions des premiers fruits du renouveau de l’Église apparu dès 1975, avec l’explosion des communautés nouvelles, discrètement mais réellement soutenues par Paul VI. Depuis, ces communautés ont connu des phases de croissance difficile, mais elles ont recomposé le paysage ecclésial. Le clergé diocésain s’est considérablement renouvelé, laissant derrière lui la crise de l’après-concile, et nous vivons désormais dans une Église enracinée dans la solidité de l’enseignement de saint Jean Paul II et de Benoît XVI. Là où ils ont bâti et approfondi, le pape François peut semer et réformer à nouveau. La génération François est bien la même que la génération Jean-Paul II, l’Église ne vieillit jamais.

Pour les jeunes chrétiens, quels sont les pièges à éviter ?

Trop d’information tue l’information. La révolution de l’Internet, qui n’avait pas encore eu lieu à l’avènement du pontificat de Jean Paul II, est une révolution de la dispersion… et de l’enfermement. Elle tend à couper du réel et des autres. Pour grandir dans sa vocation et s’épanouir dans une vraie liberté, il faut garder le sens du concret, les pieds sur terre, et ne pas être seul, avec de vrais amis.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes missionnaires d’aujourd’hui ?

Le défi de la jeunesse, c’est l’apprentissage de la liberté sur la voie de sa vocation personnelle. Comment apprendre la liberté ? Trois mots me viennent à l’esprit : prière, charité, formation.

Le passage à l’âge adulte est aussi le passage à la foi adulte. La foi reçue au baptême doit devenir une foi choisie, non au sens d’une foi fabriquée selon ses préférences, mais comme un don accepté librement, en conscience. Or une foi adulte ne se subit pas. Elle se nourrit pour vivre, notamment en transmettant. D’où la nécessité de la prière, ce cœur à cœur avec Dieu, cette rencontre avec Jésus en tant que personne, qui permet de décentrer sa vie, de sortir de ses préoccupations narcissiques stériles auxquelles on se soumet volontiers à l’adolescence, ce temps délicat de la vie qui dure parfois toute la vie quand on n’assume pas sa liberté adulte. Prier, c’est se libérer en « entrant dans l’espérance », comme disait Jean Paul II.

Se libérer, c’est aussi s’ouvrir au monde et aux autres. Être chrétien, c’est être reçu et être donné. Seule l’expérience du don de soi, quelle que soit sa forme, par exemple sous la forme d’un engagement auprès des plus pauvres ou des plus jeunes, peut construire sa liberté, celle qui donne la vraie joie car elle est gratuite. Cette expérience est à tenter car si elle passe par l’engagement de sa volonté, elle est aussi un don mystérieux : la charité purifie la volonté. Quand on ne parvient pas à se purifier de ses mauvaises habitudes, celles qui vous polluent l’existence, la charité vous nettoie, vous libère. En outre, elle vous donne le vrai sens du réel, car la vie ne s’apprend pas d’abord dans les livres.

Mais les livres, c’est aussi stratégique ! je veux dire par là qu’une liberté sans intelligence ne peut savoir ce qu’elle veut, d’où elle vient et où elle va. Un homme intelligent se construit comme l’héritier d’une sagesse qui l’aidera à recevoir et accepter la vérité du monde, tel qu’il est. D’où l’importance de se former en s’unissant aux maîtres qui peuvent nous faire grandir dans le mystère de la vérité. On ne peut être libre et grand sans maître. Les livres sont la voix des maîtres : il est bon de suivre les anciens qui ont tracé la route et nous font grandir par leur exemple sur le chemin de notre propre vocation.

 

Entretien paru dans France catholique n° 3559 du 27 octobre 2017, sous le titre : « Congrès Mission : analyse contextuelle et historique ».

 

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