Catherine de Sienne, femme d’Eglise, femme de feu

A propos d’André Vauchez, Catherine de Sienne, Vie et passions (Cerf).

Catherine de SienneComment devient-on Catherine de Sienne (1347-1380) ? Question passionnante pour découvrir comment une jeune fille simple, d’origine modeste, devint la confidente des puissants de son siècle, hors des sentiers rebattus des intrigues de cour et de la course au pouvoir. Oui décidément, l’Église n’a pas besoin de mettre ses femmes à l’ambon ou à l’autel pour reconnaître le pouvoir incomparable qui est le leur. Elles sont bien plus puissantes quand elles sont elles-mêmes, libres, habitées par leur désir d’aimer, c’est-à-dire de vouloir le bien de leurs frères, de leurs enfants, de la chair ou de l’esprit. Le bien de sa famille, pour Catherine, c’était la réforme de l’Église, pas moins, mais aussi de l’ordre dominicain, le retour du pape à Rome, et la paix entre les princes. Elle se donna totalement à sa mission, prête littéralement à mourir de faim pour sauver une âme ou réconcilier deux ennemis.

Comment donc devient-on Catherine de Sienne ? À la vérité, on ne sait pas trop. Le portrait de la sainte par le grand médiéviste André Vauchez (Cerf) nous laisse sur notre faim. Son livre est plus historiographique que biographique. On apprend beaucoup, certes, ses pages sont pleines d’érudition — s’accrocher pour saisir les subtilités des querelles toscanes du XIVe siècle entre guelfes, gibelins et autres — mais le personnage de la sainte reste plus théorique que vivant. L’auteur, qui n’est pas sans admiration et sympathie, présente Catherine comme un objet d’étude, une curiosité. D’où une difficulté à entrer en cœur à cœur dans le mystère profond de son incroyable vocation.

Il est vrai que celle dont Paul VI fit un docteur de l’Église n’est pas d’un naturel avenant. Née vingt-quatrième enfant… dans une famille de la petite bourgeoisie, elle ne cessa de se distinguer en bousculant son entourage, ne faisant rien comme tout le monde, au point de passer pour une hystérique infréquentable. Ce qui fascine dans son parcours et qu’André Vauchez montre malgré tout, comme de l’extérieur, c’est cette capacité à casser tous les conformismes pour servir Dieu, l’Église et le bien commun. Aucun cadre convenu n’était pour elle : pénitente dominicaine, autrement dit laïque consacrée misérable, quand elle aurait pu devenir une « dame » très courtisée (elle était jolie !) ou une future abbesse, elle s’imposa comme une véritable intellectuelle, conseillère des puissants qu’elle bombardait de missives impétueuses, pas toujours écoutée, mais finalement incontournable, comme on dit aujourd’hui.

On aime son anticléricalisme respectueux, très Vatican II : fille de l’Église, elle ne tint jamais sa langue ni sa plume dans sa poche mais toujours dans l’obéissance, appelant le clergé à plus de virilité et de rigueur dans ses fonctions. Ce prophétisme féminin inattendu, surgi de nulle part, fait penser à celui de notre Jeanne nationale, ou à Brigitte la Suédoise, ou à Thérèse l’Espagnole : ce n’est pas en singeant les hommes que les femmes mènent le monde. Mais derrière la face visible de leur destin exceptionnel, le grand secret de leur fécondité inouïe n’est pas psychologique. C’est un amour de feu, une union au Christ d’une radicalité hors du commun.

André Vauchez
Catherine de Sienne, Vie et passions
Cerf, 2015, 213 p., 24 €

Catherine de Sienne

Publié par Liberté politique n° 69, printemps 2016

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