Des crucifix dans les bâtiments publics en Bavière

Quel sens le crucifix peut-il avoir dans des bâtiments publics officiels ? La réponse donnée par le Bavarois Joseph Ratzinger : la croix est le signe que l’Etat n’a pas tous les pouvoirs.

LE CRUCIFIX n’est pas un « signe religieux », mais « l’expression de notre empreinte historique et culturelle » : c’est ainsi que le ministre-président de Bavière, Markus Söder, a justifié l’installation des crucifix dans les bâtiments appartenant à l’État bavarois. Il ne s’agit donc pas pour lui d’une atteinte à la neutralité de l’État, alors que les crucifix figurent déjà dans les écoles et les tribunaux, mais une « reconnaissance de son identité ».

L’initiative a provoqué un tollé en Allemagne. Cité par l’agence de presse allemande DPA, le président du conseil central des musulmans, Aiman Mazyek, a mis en garde contre une « double morale » qui consisterait à accepter les seuls symboles chrétiens dans l’espace public. Pour lui, « la neutralité de l’État devrait toujours être respectée ».

Un coup politique ?

Dans un contexte électoral tendu, le parti conservateur chrétien au pouvoir en Bavière, la CSU, est très critique à l’égard de la politique migratoire de son alliée Angela Merkel, qui a ouvert la porte en 2015 à un million de réfugiés, essentiellement musulmans. Cet automne, la CSU devra affronter le parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). D’où l’accusation de manœuvre politicienne autour du crucifix.

L’instrumentalisation du crucifix à des fins politiques, c’est évidemment insoutenable, même si la dimension culturelle du bien commun justifie l’enracinement public des symboles de l’identité populaire. La « marque chrétienne » de la Bavière, comme le philosophe français Pierre Manent parle de la « marque chrétienne » de la France, est indéniable. Mais le sens de la présence des crucifix dans les lieux publics peut avoir un autre sens qu’une pure empreinte culturelle.

Ce sens, une haute autorité chrétienne… bavaroise l’avait évoqué dans une conférence dont le texte a été publié en 1986 : le cardinal Josef Ratzinger. Le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi évoquait un conflit de l’époque autour des crucifix dans les écoles polonaises (alors encore sous régime communiste).  Ce conflit « très symptomatique », disait le cardinal, « fut également celui de nos pères dans l’Allemagne du IIIe Reich[1] ».

Un fragment de liberté

Dans le contexte d’un régime totalitaire, il est aisé de comprendre que le crucifix indique à l’État qu’il n’a pas tous les pouvoirs. « Pour les parents polonais, comme jadis pour les nôtres, poursuivait Joseph Ratzinger, la présence du crucifix dans les salles de classe est le signe du dernier fragment de liberté face à l’État totalitaire. C’est la garantie d’une humanité, dont l’extinction représenterait à leurs yeux la prétention de disposer de l’homme de manière pleine et libre. Cette disposition, qui ne serait plus soumise à la mesure de la Croix, n’aurait donc plus de mesure du tout. » Or l’État démocratique libéral n’est-il pas de nos jours en mesure de « disposer de l’homme de manière pleine et libre », comme le montre l’évolution des lois dites de bioéthique, par exemple ?

Un signe public d’humanité

Ainsi la dimension publique du christianisme « constitue un fondement essentiel d’humanité » dont l’État a lui aussi besoin. Mais ce rappel des limites de l’État à travers le crucifix oblige. « Si nous n’avons plus la force de comprendre de pareils signes dans leur caractère irremplaçable et de les renforcer, le christianisme ne sera plus indispensable. » L’État n’en sera pas pour autant plus juste et plus libre. Pire, il perdra son fondement, car « l’État a besoin de signes publics de la réalité sur laquelle il se fonde ». C’est par exemple le rôle joué par le repos sacré dominical ou les jours de fête, « jalons du temps ». « Voilà la raison, concluait le futur pape Benoît, pour laquelle le christianisme doit insister sur ces signes publics de son humanité. »

Cette insistance a une autre obligation : si celle-ci reste purement culturelle ou « identitaire », autrement dit formelle, elle ne vaudra rien. Ces signes publics n’auront de sens « que s’ils sont étayés par la force d’une conviction publique », nourrie par sa « vérité intérieure ». À défaut, l’humanité sera privée de ses fondements spirituels et de sa liberté. « Si nous ne nous sommes ni convaincus ni convaincants, nous n’avons pas le droit de réclamer cette dimension publique ».

Publié par Aleteia.

[1] Église, Œcuménisme et Politique, Fayard, 1987, p. 289 sq.

 

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