DEUX EVENEMENTS vont se télescoper aujourd’hui dans le monde catholique, en cette solennité de l’Annonciation — qui est aussi la fête de l’Incarnation : la publication de l’exhortation apostolique Gaudete et exsultate et en France, la rencontre entre le président Macron et le « monde catholique » au collège des Bernardins.
Sur cet événement, en attendant le contenu des discours qui seront prononcés et qui ne devraient guère apporter de nouveauté, trois remarques :
1/ Les 400 invités de la Conférence des évêques de France pour assister à l’échange des discours sont supposés « représenter » les catholiques de France. Pour échapper aux subtilités de la sélection de ces représentants, par nécessité arbitraire, ce sont aussi des représentants de la « société civile » qui ont été invités. Même si cette sélection est sans incidence sur l’impact de l’événement, elle renseignera sur la mesure avec laquelle les services de la Conférence des évêques sont à l’écoute de la réalité de l’Église de France et non seulement de son administration. Tout récemment, le choix des jeunes délégués censés « représenter » la jeunesse de France au pré-synode avait montré un décalage ahurissant entre l’institution et la réalité du terrain, une dérive cléricale que l’on croyait d’un autre âge.
2/ La rencontre sera introduite par le témoignage de trois personnes « en fragilité » : la première, handicapée, membre de l’Office chrétien des personnes handicapées (OCH), la seconde présentée par l’Association pour l’amitié (APA) et la troisième par la Société Saint-Vincent-de-Paul. L’idée est de montrer la présence de l’Église « experte en humanité » auprès des plus faibles dans une société en souffrance. Prudemment, aucun migrant n’a été sollicité. Une présence “humanitaire” qu’Emmanuel Macron ne peut qu’apprécier, à condition que l’Église ne soit pas confondue avec sa fonction sociale d’ONG sympathique. C’est la limite de ce type de communication aux images fortes, mais aisément réductrice.
3/ Le renforcement du dialogue entre l’Église et l’État est à encourager, pourvu que la grand-messe du dialogue ne noie pas les différences. En France, dans leur relation avec l’État, les autorités de l’Église ont toujours eu tendance à privilégier les bonnes relations avec le pouvoir plutôt que l’affirmation de leur message. Le mythe du contrat social dans la laïcité « apaisée » — de confrontation ou de neutralisation — tétanise les esprits. La privatisation du religieux est un dérivatif commode, qui arrange tout le monde mais qui piège la véritable liberté politique et religieuse. Il dissout la morale dans les vertiges de la discussion.
Dans ce contexte, Macron excelle à retourner la rhétorique de ses interlocuteurs à son profit. Il sait à la fois flatter la place du religieux, exalter cette « part sacrée au cœur de nos lois qui ne se négocie pas » et condamner la radicalisation de la laïcité. On se croit dans un « nouveau monde », mais le résultat est le même : on discute, on discute, et c’est l’État qui tranche pour faire avaler toutes les transgressions et les injustices au nom du progrès, de l’éthique de la discussion et des nécessités politiques. Les catholiques atroces, comme on dit à l’Élysée, il ne faut pas les humilier pour leur faire admettre la GPA et tout le reste.
Si l’enjeu est de permettre à l’Église d’apporter sa pierre dans la réhabilitation de la politique, il serait opportun de bien montrer, dès ce soir, que la justice ne se construit pas d’abord dans le dialogue plus ou moins contractuel (et manipulé) entre les communautés, mais se fonde dans la nature de l’homme et de la raison.