Message du pape pour la Journée du migrant et du réfugié : quelques clés de lecture

Mon interview dans Il est vivant sur le message du pape pour la Journée du migrant et du réfugié. « La sécurité d’une nation ne peut se faire sur le dos des plus faibles, nationaux en situation précaire ou migrants, d’où qu’ils viennent. »

Il est vivant. — Dans son message pour la journée mondiale du migrant et du réfugié 2018, rendu public le 21 août, le pape François a écrit : « Le principe de centralité de la personne humaine nous oblige à toujours faire passer la sécurité personnelle avant la sécurité nationale. » Dans un contexte de grande insécurité en Europe, cette phrase n’a pas toujours été bien accueillie. Qu’a-t-il voulu dire ?

Philippe de Saint-Germain. — Dans ce passage, il est évident que François n’a pas voulu opposer la sécurité des nationaux à celle des migrants. Il ne prétend pas non plus que les États doivent sacrifier leur sécurité à l’accueil des étrangers. La sécurité d’une nation ne peut se faire sur le dos de la sécurité des plus faibles, quels qu’ils soient : nationaux en situation précaire, migrants d’où qu’ils viennent, malades en fin de vie ou fœtus dans le ventre de leur mère. Sur tous ces points, la doctrine de l’Église est cohérente et ne peut varier. De même et c’est du bon sens, la sécurité des plus faibles ne peut se faire sur le désordre, l’anarchie et l’ébranlement de l’identité nationale.

En réalité, il faut comprendre que le message du pape n’est pas politique au sens habituel du terme. Son message est pastoral et relève du devoir de charité de l’Église, même si François invoque la nécessité d’une « contribution » de la communauté politique et de la société civile. En tant que pasteur, son objectif est de transformer les volontés. Il met le doigt là où ça fait mal pour nous faire avancer vers une vie chrétienne plus authentique.

Rappelons que l’Église n’a pas pour mission d’organiser le monde politique, de même que la politique n’est pas appelée à réaliser le Royaume de Dieu. Le croire serait dans les deux cas du totalitarisme obtus, païen et mythologique. Le message du pape est d’ordre spirituel pour les chrétiens et moral pour tous. Par définition, la morale ne remet pas en cause la souveraineté du politique qui a ses contraintes propres et elle appelle la vertu de prudence.

C’est pour le bien des peuples avant tout que le pape recommande d’humaniser la politique migratoire. D’un côté, il appelle à l’effort et même à l’inconfort, mais pour ce qui les concerne, c’est aux autorités politiques souveraines de prendre leurs responsabilités.

Quelle serait la juste attitude à adopter selon vous face à des propos que l’on ne comprend pas forcément ?

La bonne hygiène intellectuelle pour recevoir les paroles du pape sur les sujets de portée temporelle est de commencer par faire la part des choses, de ne pas confondre les principes et l’action, et de distinguer sans les opposer les responsabilités respectives de chacun.

Quand François intervient sur des questions absolues, il faut l’entendre de manière absolue ; quand il intervient sur des questions relatives, il faut l’entendre de manière relative en fonction des circonstances où s’exerce le jugement de notre raison.

Pour tous ceux qui sont disposés à être de vrais fils de l’Église, il s’agit de s’appliquer à soi-même les vertus du disciple (attention, bienveillance, docilité) et la vertu de prudence : se taire, se former, se renseigner plutôt que critiquer et de réagir à chaud. Accepter aussi de ne pas tout comprendre et de faire un travail sur soi. Il ne s’agit pas bien sûr non plus de tomber dans une sorte de “papolâtrie” tout aussi inappropriée. En fait le papolâtre, ce n’est pas d’abord celui qui suit le pape sans réfléchir, mais celui qui attribue au pape des pouvoirs qui ne sont pas les siens.

On reproche parfois également au Pape dans ce message d’outrepasser sa compétence en proposant des mesures trop concrètes qui ne sont pas de son ressort…

Encore une fois, il s’adresse avant tout aux croyants et aux hommes de bonne volonté, au nom de la responsabilité pastorale et caritative de l’Église. « Il n’est pas question de prêcher une pseudo-éthique, disait le cardinal Bergoglio en 2003 [1], mais d’affronter les réalités dans une perspective éthique, qui s’enracine toujours dans le réel. »

Or que constate le pape ? Des masses de réfugiés contraints à l’exil. La mission de l’Église « hôpital de campagne » est d’intervenir pour favoriser leur accueil dans les meilleures conditions. C’est un pur devoir de charité. De leur côté, les États ont le devoir et la liberté de prendre les mesures relevant de leur compétence, à commencer par le traitement des causes des désordres migratoires qui ne sont pas apparus par hasard. Bref, à chacun ses responsabilités.

François rappelle seulement que la politique n’a pas autorité sur la morale, que l’Église est libre de le dire, et qu’elle a le devoir de panser les blessures dues aux bêtises humaines des politiques égoïstes et irresponsables. D’ailleurs, si l’Église était écoutée, il n’y aurait pas ces désordres migratoires.

 

Paru dans Il est vivant n° 338, janvier 2018, sous le titre : « Message pour la Journée du migrant et du réfugié, quelques clés de lecture »

 

 

 

 

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