CHARGÉ par le président de la République d’une mission sur le patrimoine, l’animateur Stéphane Bern a émis la suggestion de rendre payante l’entrée des cathédrales pour assurer leur entretien. L’idée n’est pas nouvelle. En 2014, la proposition avait circulé lors d’une réunion entre le ministre de la Culture et le Centre des monuments nationaux pour faire face au gouffre que représente la charge des 77 cathédrales de France. Relancée par Stéphane Bern, la proposition a suscité un tollé, notamment sur les réseaux sociaux. Pourtant le présentateur de « Secrets d’histoire » n’avait pas l’intention de faire payer les fidèles, mais les seuls touristes, comme il l’a précisé.
Cette pratique, a-t-il dit, a cours dans de nombreux pays européens, notamment en Italie et au Portugal où l’accès à de nombreuses églises est payant, même si l’Église y répugne. En Espagne, pour visiter la cathédrale de Séville ou celle de Cordoue, il faut débourser 8 euros. Idem en Allemagne à Berlin, où l’Église est pourtant très riche. En Angleterre, la cathédrale catholique de Westminster est gratuite, mais celle de Cantorbéry se visite avec un billet de 13,50 livres, et la cathédrale anglicane Saint-Paul, 19 livres.
Le désaccord des évêques de France
Alors, pourquoi pas la France ? Le contexte est assurément très différent, où l’État s’est attribué la propriété des lieux de culte. La Conférence des évêques de France est intervenue en publiant un communiqué très sec, soulignant que les cathédrales, qui font partie du patrimoine culturel de la France, « sont avant tout des lieux de prière et de culte dont l’accès doit être libre ».
Stéphane Bern se défend en prétendant qu’il ne s’agit que d’une « idée ». Il s’inquiète à juste titre que le patrimoine religieux ait tant de peine à trouver des financements publics pour être entretenu convenablement : « Une ville comme Paris n’a plus les moyens d’entretenir son patrimoine religieux », a-t-il expliqué dans Le Parisien. Or contrairement aux églises qui appartiennent aux communes, les cathédrales sont propriétés de l’État. Quand on sait que les monuments historiques constituent 3% du budget de la culture en France, il est permis de s’interroger sur la pertinence du recours à la commercialisation des cathédrales pour trouver l’argent nécessaire à leur entretien. Dans le même temps, fait remarquer l’avocat Henri de Beauregard dans sa chronique sur Europe 1, les fonds d’État ne manquent pas pour installer sur la place publique des œuvres géantes à caractère pornographique, comme le « Domestikator » de l’Atelier Van Lieshout devant Beaubourg. La question est donc bien politique.
Les engagements de l’État
Si l’État entend assumer ses responsabilités, il est tenu avant tout de respecter ses engagements. Les évêques rappellent que selon l’article 17 de la loi de 1905, « la visite des édifices et l’exposition des objets mobiliers classés seront publiques : elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance ».
Sous ce débat resurgit les toujours délicates relations entre l’Église et l’État en France depuis la Révolution. La nationalisation des biens de l’Église a constitué, depuis le décret de l’Assemblée constituante du 2 novembre 1789, une véritable spoliation. En 1801, le concordat a établi le budget des cultes, comme une forme de dédommagement. Après la séparation des Églises et de l’État en 1905, les lieux de culte catholiques appartiennent toujours à l’État mais sont « affectés » à des associations diocésaines (depuis 1924) contre la garantie d’en respecter leur caractère de gratuité, d’exclusivité et de perpétuité.
Une double peine
Si l’État estimait que les lieux de cultes sont des biens commerçants, non seulement il trahirait ses obligations, mais il remettrait en cause la dimension religieuse des sanctuaires par définition ouverts à tous. Les catholiques seraient doublement punis : privés de la totale disposition de leurs biens édifiés grâce à la générosité des fidèles et privés de la gratuité de leur message. À cet égard, il est permis de penser que les pratiques étrangères ne rendent pas service à la mission de l’Église, mais aussi à celle de l’État. La richesse du patrimoine historique européen repose en particulier sur la dimension sociale et communautaire de ses édifices religieux. Rendre l’entrée des cathédrales payantes, serait condamner le sanctuaire de la religion dans l’espace public, qui serait transformée en musée, et le culte en pure activité folklorique.
Une cathédrale est par vocation un lieu d’accueil pour tous, croyants et non-croyants : sa dimension religieuse est inséparable de sa dimension sociale. Au Moyen Âge, les cathédrales tenaient lieu de forums, quand elles n’étaient pas des relais hospitaliers où gîtaient les pèlerins sans abris. C’est dans la gratuité que l’Église délivre son message, à la fois dans la proposition de la foi et la rencontre avec Dieu, mais aussi dans son existence même comme espace d’accueil et de liberté.
Sanctuaires de la gratuité
Mettre fin à la gratuité des sanctuaires serait donc s’attaquer à la liberté religieuse, même si la liberté de circulation des fidèles serait assurée. C’est l’observation parfaitement résumée par Henri de Beauregard qui juge la proposition choquante à l’égard de ceux qui ne viendront plus dans les églises, « tous ceux qui, sans confesser une foi affirmée ou une pratique déterminée, éprouvent un jour l’envie ou le besoin d’y entrer, pour y trouver un oasis de silence au milieu de nos villes agitées […]. Dans nos sociétés d’agitation, d’argent, de bruit, c’est un luxe que d’avoir des espaces gratuits de silence et d’ennui. Églises et cathédrales y sont l’un des derniers espaces non-marchand. Un espace qui se propose à tous sans rien vendre à personne ».
Il reste que l’entretien des cathédrales est une véritable préoccupation partagée par tous. Prosaïquement, l’Église sait que l’accès payant se ferait directement au préjudice du financement des dépenses courantes (chauffage, électricité) et pour lesquelles les dons spontanés reçus de la part des visiteurs dans les troncs à disposition constituent des ressources parfois décisives. Stéphane Bern a émis l’idée défendue depuis de nombreuses années par l’actuel maire de Versailles, François de Mazières, ancien président de la Cité de l’architecture et du patrimoine, de prélever un pourcentage sur les gains du Loto. D’autres pistes peuvent être envisagées faisant appel à la générosité publique, pourvu qu’elles respectent les sanctuaires de la gratuité que sont les cathédrales.
Publié par Aleteia.