François, l’héritier de Benoît XVI ?

Benoît XVI avait-il pressenti qui serait son successeur ? Il savait en tout cas que l’avenir de l’Église dépendait pour une grande part du cardinal Bergoglio, et il a tout fait pour l’aider. Une révélation, sous forme d’hypothèse très étayée, à découvrir dans la biographie de François le réformateur par Austen Ivereigh (Ed. de l’Emmanuel) dont j’ai donné une longue présentation dans Aleteia, et dont voici une synthèse centrée sur sa proximité avec Benoît XVI, parue sur le site de l’OSP du diocèse de Fréjus-Toulon.

POUR SAISIR LE SENS DU PONTIFICAT du pape François, il faut se placer dans le temps long, c’est-à-dire à la lumière de sa vie de prêtre, d’évêque et de cardinal dans l’histoire de son pays et de l’Église elle-même. C’est le défi qu’a relevé avec efficacité l’auteur Austen Ivereigh dans la biographie, François le réformateur – De Buenos Aires à Rome, un travail qui fera référence par son sérieux et sa hauteur de vue. Journaliste anglais, fondateur du projet CathoVoice, Ivereigh a soutenu une thèse sur les relations entre l’Église et la politique en Argentine : il connaît donc parfaitement son sujet. Son enquête est précise et documentée et ses cinq cent pages se lisent comme un roman.

Il faut dire que la vie de Jorge Bergoglio n’est pas banale. Le futur pape devra affronter des situations très délicates, en particulier sous la dictature. Mais aussi original qu’il puisse paraître, l’auteur soutient dans son livre que l’Argentin est un successeur naturel des pontifes de l’après-Vatican II, en particulier de Paul VI.

L’héritier direct de Benoît XVI

Élu au siège de Pierre en 2013, le primat d’Argentine « est en train de restaurer ce qui a été perdu, démontre Ivereigh. Il ne cherche pas à tourner le dos à l’Église et à sa doctrine, mais à prendre soin de restaurer ce que l’Église veut dire et faire : révéler le Christ. Cela implique de s’opposer à certaines choses, de heurter certaines personnes, mais c’est uniquement dans le but de rendre l’Église plus conforme à ce qu’elle est, et non de la transformer en ce qu’elle n’est pas. » En cela, explique l’auteur, le pape Bergoglio, comme on dit en Italie, « s’avère l’héritier direct de Benoît XVI, n’en déplaise à la légende médiatique qui soutient la thèse de la rupture ».

Le fil conducteur de la vie du futur pape François tient dans son charisme incontestable de réformateur. Il fait partie de ces hommes et de ces femmes qui apparaissent régulièrement dans l’Église pour l’aider à se purifier de l’esprit du monde — la fameuse « mondanité spirituelle »

Un mystique et un chef

Jésuite jusqu’au bout des ongles, Jorge Bergoglio est bâti du même bois que le fondateur de la Compagnie, le grand Ignace de Loyola : il est à la fois un mystique et un chef. « Ignace et François combinent deux qualités que l’on trouve rarement chez une même personne, remarque Ivereigh. D’un côté, Ignace (comme François) avait un sens politique inné — un charme, diraient certains — par sa capacité à lire dans le cœur des gens, à gagner leur confiance, à les inspirer, à les organiser en vue d’œuvrer à de grands idéaux ; avec cela, il possédait aussi d’immenses qualités de meneur, d’enseignant et de négociateur.

De l’autre Ignace (comme François), était un mystique qui vivait et gouvernait par le discernement des esprits, choisissant tout ce qui pouvait servir le plus grand bien, la plus grande gloire de Dieu, ce que les jésuites désignent par le mot latin magis (davantage). Les guides spirituels sachant rarement gouverner, et ceux qui sont au pouvoir ne sont presque jamais des saints. Ignace et François font partie des rares hommes qui ont cassé le moule. »

L’homme de la situation

Tour à tour provincial des jésuites d’Argentine, évêque, puis cardinal, le père Jorge bouscule son monde. Avec un art consommé de se faire des ennemis, il s’impose toujours comme l’homme de la situation. Chez lui, toujours deux préoccupations : le Christ et les pauvres. Cela lui vaudra bien des périodes difficiles, sans compter les relations délicates avec un pouvoir politique oscillant entre la dictature sanglante et le libéralisme le plus débridé.

Deux événements majeurs vont contribuer à faire connaître le cardinal primat auprès de ses pairs. Tout d’abord le synode des évêques de 2001, dont il est vice-président, puis rapporteur. Il sera hautement félicité à Rome pour sa capacité à sauver le meilleur des débats consacré au thème délicat du ministère épiscopal et de la collégialité.

Un programme pour l’Église

Le deuxième événement sera en 2007 la Ve conférence du CELAM, le Conseil épiscopal latino-américain, au sanctuaire brésilien d’Aparecida. L’enjeu est considérable : il s’agit de sortir l’Église des impasses de la théologie de la libération et des dérives idéologiques de la Modernité, pour armer affronter les nouveaux défis de l’évangélisation. L’Amérique latine, c’est la moitié des catholiques du monde. « Je suis convaincu, dira Benoît XVI, que l’avenir de l’Église catholique — au moins en partie, mais une partie fondamentale — sera décidé ici. Pour moi, cela a toujours été clair. »

Et là aussi, le cardinal Bergoglio imprime sa marque avec sa lecture théologique du « saint peuple fidèle de Dieu ». Grâce à l’engagement sans faille de Benoît XVI à ses côtés, la conférence apparaîtra comme un printemps de la pensée catholique, à la source d’un véritable programme de renouveau pour l’ensemble de l’Église.

Son principal artisan, le cardinal Bergoglio quittera la conférence sous les acclamations, comme le leader incontesté de l’Église du sous-continent. Benoît XVI avait trouvé son successeur.

Publié par l’OSP du diocèse de Fréjus-Toulon.

 

Austen Ivereigh,
François le réformateur – De Buenos Aires à Rome,
Éditions de l’Emmanuel, 2017, 533 p., 20 €

 

Aller plus loin :
La vie de François le réformateur, d’après Ivereigh sur Aleteia.

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