Le futur chancelier, le très jeune Sebastian Kurz (31 ans), annonce l’ouverture de négociations avec le FPÖ, classé à l’extrême-droite selon les standards médiatiques, pour constituer le nouveau gouvernement. Cela provoque l’indignation dans les capitales européennes. Faut-il s’attendre à un bouleversement politique régional ?
Jean Sévillia. — Les Autrichiens n’ont pas une approche idéologique de la politique comme les Français qui projettent volontiers leurs schémas hexagonaux sur une réalité totalement différente. À Vienne, les coalitions gouvernementales se négocient sur des programmes, de manière purement pragmatique, aussi bien entre conservateurs et sociaux-démocrates qu’entre sociaux-démocrates et populistes de droite. Kurz ne fait que proposer la reconduction de l’alliance conservateurs-nationaux populistes qui a gouverné l’Autriche entre 2000 et 2007. À l’époque, cette alliance avait soulevé un tollé en Europe. Jacques Chirac avait appelé à des sanctions européennes… qui ont été levées après six mois quand il a bien fallu s’apercevoir que l’Autriche restait un État de droit où les institutions démocratiques continuaient de fonctionner !
Ce système d’alliances est historique. Dès avant 1918, les forces politiques autrichiennes se structuraient autour du parti Noir (catholique), du parti Rouge (socialiste) et du parti Bleu (pangermaniste et souvent protestant). Après 1945, le pouvoir s’est partagé entre les « noirs » et les « rouges », aucun parti n’ayant jamais obtenu la majorité absolue, mais ceux-ci ont évolué vers un modèle commun, la droite conservatrice ayant abandonné ses références confessionnelles catholiques et la gauche socialiste ayant répudié le marxisme. Cette convergence entre les deux grands partis a favorisé l’ascension du parti bleu, reconstitué sous la forme du FPÖ, une troisième force dont le caractère extrémiste d’origine, qui est avéré, s’est peu à peu effacé sous l’effet du temps (les générations qui ont connu la guerre ont disparu), du jeu démocratique qui a intégré ce parti dans le système politique, et d’une conversion du FPÖ au libéralisme économique et au patriotisme autrichien qui n’étaient pas dans les gênes de ses fondateurs. Les socialistes ont eux-mêmes gouverné avec le FPÖ de 1983 à 1986, et encore aujourd’hui dans deux diètes régionales, en Haute-Autriche et dans le Burgenland. L’extrême-droite au sens strict n’existe pas en Autriche, pays qui possède une des législations les plus sévères d’Europe contre la diffusion d’idées néo-nazies et négationnistes. En cherchant une alliance avec le FPÖ, Sebastian Kurz fait un pari politique mais ne propose donc rien de révolutionnaire, ni de réactionnaire.
Le futur chancelier reste un inconnu : en quoi est-il conservateur et chrétien ?
Le Parti populaire autrichien (ÖVP) est l’héritier du parti noir, mais sa référence chrétienne a été officiellement abandonnée en 1951. C’est donc par abus de langage, et sans doute par analogie avec la CSU allemande, qu’on continue de parler du « parti chrétien conservateur » autrichien. Kurz a été comparé à Emmanuel Macron, ce qui n’est pas faux à bien des égards, mais contrairement au président français, il n’a pas créé un parti de toutes pièces. Il s’est emparé de l’ÖVP, dépoussiérant en profondeur une vieille institution qui avait perdu son identité pour la mettre au goût du jour en renouvelant ses cadres et en cassant les codes du consensus avec les sociaux-démocrates. Symboliquement, d’ailleurs, Kurz a fait campagne non sous la couleur noire de l’ÖVP, mais du bleu turquoise, changement qui se veut un signe.
Kurz est un moderne, pragmatique et libéral, qui s’est fait connaître il y a quelques années en distribuant des préservatifs au volant d’un 4X4 accompagnées de jeunes filles court vêtues. Je n’ai pas d’informations particulières et n’ai pas à juger de son rapport avec le christianisme au for interne, mais j’observe qu’il ne donne en rien l’impression d’être imprégné de culture chrétienne et de doctrine sociale de l’Église. Comme il connaît néanmoins très bien le poids du catholicisme dans son pays, il est allé il y a quelques jours présenter ses respects à Mgr Schönborn, cardinal-archevêque de Vienne… Si Kurz est conservateur, c’est plutôt en consonnance avec la société autrichienne : lui-même n’est pas marié, mais sa conception de la famille reste traditionnelle. Hostile au mariage gay, il ne fait que suivre la majorité des Autrichiens. Et en économie, il plaide modérément pour un allègement des contraintes administratives, rien de plus.
Quelle influence l’accession au pouvoir de Sebastian Kurz aura-t-elle en Europe ?
C’est évidemment sur sa conception de la défense des intérêts nationaux qu’il fait la différence. S’il reste campé plus à droite selon nos catégories, c’est qu’il est très critique sur la politique migratoire de l’Union européenne, et de l’Allemagne d’Angela Merkel en particulier. Il partage la volonté des pays du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie) de contrôler strictement leurs frontières au nom de leur souveraineté nationale. Mais l’homme n’est pas un ultra : il a pris soin, au lendemain de son succès électoral, d’aller rencontrer le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, pour le rassurer sur ses intentions et témoigner de son attachement aux institutions européennes.
Là encore, il faut se garder de fantasmer. Les Autrichiens sont un peuple ouvert, comme le prouve le nombre de réfugiés qu’ils ont accueillis il y a vingt ans, lors de la guerre en Yougoslavie, ou comme le montre la place du tourisme dans leur économie et leur mentalité. Mais ils ont eu l’impression que la vague migratoire lancée par Angela Merkel a rompu un équilibre. Nous sommes donc devant une inflexion certaine en matière d’intégration européenne, qui constitue un véritable changement de la donne dans l’équilibre des forces au sein de l’Union. Pour le coup, ce changement ne va pas dans le sens de la « refondation » souhaitée par le président Macron.
Publié par Aleteia
À lire, de Jean Sévillia :
Le Dernier Empereur, Perrin, « Tempus », 2012, 300 p., 10 €
Zita, impératrice courage, Perrin, « Tempus », 2016, 352 p., 10 €