Sens Commun et la peste partisane

Et si l’on s’interrogeait sur Sens Commun en dehors de la logique de parti ? C’est-à-dire en dehors de cette idéologie réductrice du politique d’abord, considérant que le salut de la France passe avant tout par la conquête du pouvoir ?

CE RAISONNEMENT naïf est très Moderne, au sens des Lumières : croire qu’une société se change par le haut, par les structures (les institutions et les lois), donc les partis. Toute stratégie pertinente ne se pense plus qu’en termes de Meccano partisan : quand la machine à perdre est enclenchée, il suffit de modifier les rapports de force entre les partis, « recomposer » la mécanique pour décrocher à nouveau la timbale.

Si la formule ne fonctionne pas, les pièces du Meccano étant « toutes pourries », qu’à cela ne tienne, il suffit de créer un nouveau parti, le parti des parfaits dont la pureté magique convertira les masses.

Seul le pouvoir…

La seule cohérence de cette façon de penser tient en une phrase : seul le pouvoir, la prise du pouvoir et la conservation du pouvoir légitiment une stratégie politique. Tout le reste n’est que littérature, et la politique pensée dans le long terme comme service visant à transformer les hommes d’abord plutôt que les structures, une chimère pour bisounours attardés.

Or c’est ce cynisme qui est illusoire. Une démarche politique qui s’inscrit dans le temps, a fortiori quand elle est à contrecourant, ne vise pas d’abord le pouvoir, mais une présence pour convaincre de multiples manières, par exemple dans tous les partis.

L’esprit de parti

L’esprit de parti, cette façon de penser aussi naïve que cynique, est naturellement de gauche : la société ayant corrompu les individus, c’est en changeant la société — les structures — qu’on va forcer les gens à être libres sur le chemin des lendemains qui chantent. Que la gauche se recompose sans cesse entre ses factions, c’est donc de bonne guerre, mais que la droite fonctionne sur le même modèle, c’est le signe d’une crise existentielle.

Le procès fait à Sens Commun, attaqué sur sa gauche et sur sa droite, n’a pas d’autre explication.

Un double procès

Sur sa gauche, pour oser ouvrir le débat aux personnes et non aux structures, sans tabous : comme dans toute société archaïque, l’unité se fait lâchement sur le bouc émissaire, et les lâches préfèrent toujours cogner sur le méchant, diabolisé par nécessité, que de travailler sur le fond. Quand Christophe Billan tend la main à Marion Maréchal, même par hypothèse, il contracte la peste, c’est mécanique.

Sur sa droite, Sens commun est accusé de ne pas prêter son concours au mythe des recompositions structurelles de la droite dans cette seule logique de parti, notamment par le blanchiment du FN, le plus partisan de tous les partis. De façon tout aussi archaïque, la lâcheté des uns faisant le bonheur des autres, on pense qu’il est tellement plus commode de rêver un modèle de parti chimiquement pur, qui se construirait sur l’éradication des imparfaits.

Car collaborer avec les imparfaits, c’est hérétique. L’imperfection est un démon que les Modernes ne tolèrent pas.

Un mal profond

Alors, certes, dans un contexte électoral tendu — l’élection du nouveau président des Républicains — avec ses impitoyables guerres de clans où les pires réflexes se réveillent pour éliminer les gêneurs, on peut toujours critiquer l’opportunité d’agiter le chiffon rouge du dialogue avec les parias, mais sous l’écume de la controverse, il y a un mal plus profond : la dérive délétère de la peste partisane, inventée pour éviter de réfléchir.

Ce n’est pas le moindre mérite de Sens Commun de poser le problème.

 

Illustration : Les Animaux malades de la peste, par Olivier Morel, Editions Courtes et Longues, 2013.

Les Animaux malades de la peste

 Un mal qui répand la terreur,
 Mal que le Ciel en sa fureur
 Inventa pour punir les crimes de la terre,
 La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
 Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
 Faisait aux animaux la guerre.
 Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
 On n'en voyait point d'occupés
 A chercher le soutien d'une mourante vie ;
 Nul mets n'excitait leur envie ;
 Ni Loups ni Renards n'épiaient
 La douce et l'innocente proie.
 Les Tourterelles se fuyaient :
 Plus d'amour, partant plus de joie.
 Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
 Je crois que le Ciel a permis
 Pour nos péchés cette infortune ;
 Que le plus coupable de nous
 Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
 Peut-être il obtiendra la guérison commune.
 L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
 On fait de pareils dévouements :
 Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
 L'état de notre conscience.
 Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
 J'ai dévoré force moutons.
 Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :
 Même il m'est arrivé quelquefois de manger
 Le Berger.
 Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
 Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
 Car on doit souhaiter selon toute justice
 Que le plus coupable périsse.
 — Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
 Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
 Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
 Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
 En les croquant beaucoup d'honneur.
 Et quant au Berger l'on peut dire
 Qu'il était digne de tous maux,
 Etant de ces gens-là qui sur les animaux
 Se font un chimérique empire.
 Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
 On n'osa trop approfondir
 Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
 Les moins pardonnables offenses.
 Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
 Au dire de chacun, étaient de petits saints.
 L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance
 Qu'en un pré de Moines passant,
 La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
 Quelque diable aussi me poussant,
 Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
 Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
 A ces mots on cria haro sur le baudet.
 Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
 Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
 Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
 Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
 Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
 Rien que la mort n'était capable
 D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
 Selon que vous serez puissant ou misérable,
 Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
 
 Jean de La Fontaine
 

 

3 réflexions sur « Sens Commun et la peste partisane »

    1. C’est amusant de dire que la Ligue est le premier parti moderne. On parle d’oxymore dans ce cas non ?
      Le premier parti moderne ne serait il pas plutôt celui que la Ligue a souhaité combattre ? Vous voyez ce que je veux dire…
      Je ne fais aucun jugement sur la foi des protestants mais uniquement sur la dimension politique qu’a prise leur engagement. Début de longues guerres civiles ou la religion était finalement plus victime que bénéficiaire voire coupable !

      1. Pour prolonger la réflexion: finalement l’erreur initiale du protestantisme rapidement diffusée partout et notamment chez les souverains n’est-elle pas la suivante : faire des questions politiques un sujet religieux ?
        « In God we trust » disent les Américains.
        « Français et immigrés doivent chacun se convertir » dit Emmanuel Macron.
        C’est l’idée fausse selon laquelle l’engagement personnel devrait avoir une rétribution autre que la joie de devenir soi-même. C’est l’idée des marchands accaparant le temple : d’accord pour croire mais cela doit quand même rapporter tout de suite.
        Or la politique devrait être tout sauf une religion: c’est une affaire d’héritage familial, de ressenti, de pauvres calculs de nos cerveaux incultes. La politique pour retrouver son bon sens devrait avoir conscience de sa futilité. Tout le contraire du mitterrandisme qui règne encore aujourd’hui.

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