Présidentielle : comment voter pour sortir du piège ?

Le second tour de l’élection présidentielle se présente sous la forme d’une confrontation entre deux manipulations politiques jumelles, aussi peu acceptables l’une que l’autre. Comment échapper au piège ? L’enjeu décisif de cette élection se jouera lors des législatives du mois de juin.

IL FAUT QUE TOUT CHANGE pour que rien ne change. La disparition des candidats des grands partis de gouvernement à l’issue du premier tour de la présidentielle donne l’apparence d’une modification en profondeur du paysage politique. Les partis dominants, demain, changeront peut-être, mais la réalité politique française demeure dans ses profondeurs.

L’échec Fillon est moins celui d’un homme, victime de son passé, de son tempérament et des coups bas sur lesquels la vérité finira par surgir, que de l’incapacité de la droite à se retrouver dans sa tradition sociale et nationale, autour d’un État fort mais limité et d’une économie libre. Cette tradition, issue du gaullisme, était la seule en mesure de rejoindre et transformer une France périphérique oubliée de la mondialisation, orpheline de son identité et de ses appartenances.

Deux offres politiques aliénantes

Nous avons désormais sous les yeux deux offres politiques qui sont la version paroxystique des deux manipulations majeures du système politique actuel, un système que les Français ont rejeté à travers leurs grands partis, mais qu’ils vont subir à nouveau, par défaut, faute d’alternative raisonnable. Ce système à double face, qui se nourrit d’une diabolisation respective, doit être compris à la racine : la tyrannie du consensus et le radicalisme des purs, le démocratisme absolu et l’utopisme démagogique, la perte de soi et l’enfermement sur soi.

Le plus grand danger est évidemment l’option Macron, qui est celle du mensonge le plus abouti : la dissolution relativiste pensée comme une condition du vivre-ensemble, la loi de la jungle enrobée dans la rhétorique de la tolérance (antifasciste) et du paradigme technocratique. Le dépassement des clivages par la magie de la technocratie comptable, du marché et des « médiations de la parole » est un vieux mythe, le mythe de la fraternité universelle transnationale et apolitique, rebaptisée mondialisation heureuse.

En face, l’option Le Pen est celle du radicalisme partisan, « trop engoncé dans sa fonction tribunicienne », selon l’expression de Matthieu Bock-Côté, pour ne pas s’enfermer dans son incapacité à rassembler. Sa formule ne prospère que dans la brutalité de la confrontation, dans une dialectique binaire qui bannit toute espèce de compromis, donc de politique : chaque injustice logée dans la dynamique frontiste trouve en elle une opportunité de lutte du Bien contre le Mal, système contre système. D’où une culture du ressentiment qui divise au lieu d’unir, ce qui est paradoxal chez une force politique qui prétend défendre l’identité de la nation, une nation qui doit exclure pour exister.

Syncrétisme conciliant et refus du réel

Ces deux manipulations politiques, traits significatifs de la politique moderne, ont été parfaitement décrites par Jorge-Mario Bergoglio sous la forme du « syncrétisme conciliant » et de la « pureté nihiliste » [1] :

« Le syncrétisme fascine avec son semblant d’équilibre. Il se produit souvent en prétendant trouver le juste milieu, en contournant le conflit par l’équilibre des forces. […] Lui-même se considère comme une valeur et son soubassement s’enracine dans la conviction que chaque homme a sa vérité et son droit. Il aime proclamer les “valeurs communes” qui sont transversales par rapport aux identités et aux appartenances. »

À ses côtés, « la prétendue recherche de la « pureté » est jumelée au syncrétisme conciliant : la raison pure, la science pure, l’art pur, les systèmes purs de gouvernement, etc. Cette soif de pureté, qui prend parfois la forme du fondamentalisme religieux, politique ou historique, survient aussi aux dépens des valeurs historiques des peuples, et isole la conscience d’une manière telle qu’elle conduit les hommes à un véritable nihilisme. » Par glissement, ce nihilisme conduit au refus des limites du réel et de la politique comme science du compromis sans cesse perfectible vers le bien.

Nous avons donc sous les yeux les deux aliénations qui s’opposent au bien commun : le relativisme libéral-libertaire, et le culte du pouvoir politique partisan. Des deux formules, la plus dangereuse n’est pas celle qu’on croit, car c’est l’une qui engendre l’autre : « En définitive, soulignait le futur pape François, c’est le syncrétisme conciliant qui est la forme la plus larvée du totalitarisme moderne : le totalitarisme de celui qui réconcilie, en ignorant les valeurs qui transcendent. »

Dès lors, que faire ?

Une élection pour rien

Il n’y a rien à espérer politiquement de cette élection. La France, dans sa très grande majorité, est structurellement imprégnée par le ver de l’individualisme libéral porté par la gauche, y compris celle qui vote Front national. Il ne faut pas chercher plus loin les raisons profondes de l’expulsion de François Fillon dont le projet était trop peu « conciliant » tout en étant relativement rationnel, y compris au sein de son propre camp. La coalition générale qui s’est dressée contre lui était, elle, aux couleurs de la réalité du pays.

Sa victoire reposait sur l’hypothèse d’un coup de poker : un rejet massif du hollandisme et une confrontation avec le repoussoir Le Pen. Or la perspective d’un retour de la droite à l’exercice d’une politique plus indépendante, plus libre à l’égard de la mécanique de la mondialisation marchande, perspective fragile mais possible, était insupportable aux faiseurs d’opinion. En tout état de cause, une victoire n’eût fait que déplacer le problème : une chose est de conquérir le pouvoir, autre chose de construire un peuple, comme le dit encore le pape François selon une de ses expressions favorites.

Le hold up Macron

Demain, il ne fait guère de doute que le hold up Macron réussira, avec la complicité d’un appareil d’État qui jette un doute terrible sur la sincérité du scrutin. Le système va se perpétuer, en continuant d’engraisser l’ennemi populiste dont il a besoin pour exister, car une société relativiste a toujours besoin d’un bouc émissaire pour justifier son moralisme supérieur. Il est frappant de voir que le candidat adoubé par la France d’en-haut ne propose rien d’autre que d’accélérer la logique du système avec lequel il prétend rompre.

Christophe Guilluy l’a bien décrit : « Selon la bonne vieille logique des systèmes, quand le communisme ne marche plus, il faut plus de communisme, quand le mondialisme ne fait pas société, il faut plus de mondialisation. » Macron ne dit rien d’autre à propos de l’Europe : l’Europe, c’est la paix, les Européens n’en veulent plus, donc il faut plus d’Europe. La France périphérique et les plus faibles paieront l’addition encore une fois.

Le clivage n’est donc pas tant entre la France élitaire et la France populaire, entre l’Europe multiculturaliste et la France nationale — car le nationalisme est revenu à gauche —, qu’entre celui de l’idéologie d’un double système clos et la réalité d’une société civile qui doit reconquérir la politique avec des élus en mesure de relayer ses attentes véritables, hors de toute logique de parti et d’esprit de système.

Dans ce contexte, comment voter ?

Cette reconquête sera longue : il n’y aura pas de recomposition politique sans reconquête culturelle. Le vote, dans cette perspective, doit être modeste.

Voter reste un devoir de justice à l’égard du bien commun, qui nous engage en conscience, sachant que la conscience est guidée par le jugement de la prudence (cf. CEC, 1780) : ce n’est pas un choix à l’instinct, la conscience doit se prononcer rationnellement en fonction d’une finalité juste à court, moyen et long terme et d’un contexte. Moins que jamais, il s’agit de consacrer le bien et le mal. Il s’agit seulement de participer à l’orientation d’une dynamique positive qui concourt à l’amélioration de la situation.

Ce contexte, quel est-il ? Dès lors que les jeux sont pratiquement faits, et qu’aucune option ne paraît satisfaisante en elle-même, l’objectif doit être purement tactique. Un élu sera désigné. Son élection le sera par défaut, en raison notamment des manœuvres incroyables qui ont faussé la sincérité du scrutin, et que l’on peut contester légitimement. Mal élu (64% des Français qui voteront pour Macron ne voteront pas pour lui par adhésion, Sofres/Figaro), le nouveau président devra constituer une majorité parlementaire. La véritable partie se jouera donc aux législatives.

L’enjeu décisif des législatives

Selon toute vraisemblance, le nouvel élu sera Emmanuel Macron, l’écart prévisible entre les deux candidats étant considérable, même s’il a vocation à se réduire. La victoire de l’élu jouera en faveur de ses candidats aux législatives. Les premiers sondages indiquent que le candidat d’En Marche pourrait constituer un groupe approchant la majorité absolue (OpinionWay/Les Echos).

Dans l’hypothèse où l’on considère que le danger absolu est Marine Le Pen, on doit s’interroger sur la légitimité de soutenir le candidat qui soutient le système qui a provoqué, entretenu et renforcé son parti. Contre le mal, voter pour les causes du mal : irresponsable ! « Dieu se rit des hommes qui chérissent les causes dont ils déplorent les effets. » En outre, dans la mesure où l’on sait que la présidente du FN ne sera pas élue, soutenir Emmanuel Macron n’a aucun intérêt.

Si l’on admet que c’est le « syncrétisme conciliant » d’Emmanuel Macron qui est l’option la plus dangereuse, mais sachant que c’est celle-ci qui sera plébiscitée par la majorité des électeurs, voter pour la perdante n’a qu’une utilité relative, sinon pour limiter la portée de l’élection du vainqueur.

Cinq blocs

Mais dans tous les cas de figure, c’est sur le seul impact prévisible du nombre de voix atteint au second tour du scrutin sur les législatives qu’il faut se prononcer. Plus Macron a de voix, plus il augmente ses chances d’obtenir une majorité et d’éviter une cohabitation en mesure de limiter son pouvoir de nuisance. Plus Le Pen a de voix, plus elle favorise une dynamique en faveur des candidats FN.

Il faut donc examiner la problématique stratégique des législatives elles-mêmes. Les candidats se regrouperont autour de cinq blocs : EM, LR-UDI, FN, FG, PS et alliés. Si le rapport de forces de la présidentielle se maintient, il est probable que les candidats seront nombreux à atteindre un nombre de voix très proches, mais l’implantation locale de chaque force et leurs dynamiques politiques sont inégales. Les premières projections indiquent un effondrement du PS, ce qui incline Emmanuel Macron à refuser toute négociation avec la gauche parlementaire sortante, mais ses candidats seront des hommes neufs, sans expérience.

Les candidats LR bénéficieront d’une prime au sortant et d’une implantation structurée, et peut-être d’un réflexe légitimiste de la part d’électeurs frustrés par les résultats du premier tour de la présidentielle. L’objectif pour tous sera de passer la barre des 12,5% des inscrits pour atteindre le deuxième tour, mais une fois de plus, l’enjeu sera la capacité de rassemblement pour gagner son siège. Ici encore, la stratégie radicale du FN va montrer ses limites, confrontée à nouveau à la logique de l’enfermement et du repoussoir (15 à 25 sièges dans les projections).

Une opposition claire

Revenons au scrutin présidentiel. Les appels au vote en faveur d’Emmanuel Macron de la part d’une grande partie de la droite s’expliquent à la fois par complaisance idéologique, mais aussi pour écarter la cannibalisation de ses électeurs par la gauche Macron et par le FN. En noyant les suffrages en faveur du candidat d’En Marche, la droite croit brouiller son succès dans une vaste coalition anti-FN. Mais elle risque surtout de brouiller ses électeurs : comment mobiliser son électorat contre Macron après l’avoir soutenu ?

C’est ce que fait remarquer Pierre de Lauzun : « S’il n’y a plus d’opposition de droite claire, tout échec d’Emmanuel Macron pourra conduire à une victoire du seul FN en 2022, d’un FN qui resterait alors purement protestataire mais pourrait gagner en étant la seule force d’opposition [2]. » Un appel à la conscience des électeurs pour apprécier les dangers respectifs de chaque option eût été plus pertinent.

Donc un vote Macron massif va de manière certaine affaiblir les chances de la droite modérée d’obtenir une majorité de contrôle à la chambre et une cohabitation possible. Et un vote Le Pen important, sans effet sur le résultat présidentiel, donnera quelques députés FN, mais risque d’affaiblir aussi la droite modérée seule en mesure de contrôler le système Macron.

Face à ce dilemme, le vote blanc, qui sera sans nul doute très sensible cette année, quelle que soit la manière dont il sera comptabilisé, est une option ouverte. Celui-ci ne peut pas être considéré comme un désengagement s’il s’inscrit en conscience dans un discernement de vote en vue des législatives où il faudra choisir selon un choix véritablement conséquent. Non seulement, il délégitime les conditions de ce scrutin, qui demeurent un scandale contre la démocratie mais il s’inscrit dans un choix responsable, associant pleinement la désignation du pouvoir législatif au pouvoir exécutif.

 

 

[1] Cardinal Jorge-Mario Bergoglio, Espérance, Institutions et Politique, Parole et Silence, 2014, p. 105.
[2] Cf. http://www.pierredelauzun.comwww.pierredelauzun.com

 

Sur ce sujet :
Vote utile ou vote de conviction ?
Voter pour le meilleur possible
Le vote catholique au premier tour de la présidentielle 2007
Un chrétien peut-il voter pour le moindre mal ?

 

7 réflexions sur « Présidentielle : comment voter pour sortir du piège ? »

  1. D’un point de vue stratégique, faire baisser le score de M. Macron en votant pour Mme Le Pen. Les votes blancs ne paraissent pas.
    Le pourcentage de pagination apparaît. L’abstention se défend sauf si c’est à la place d’un vote contre M Macron en votant Mme Le Pen.
    Sur la route des législatives.
    La plainte contre le « Canard Enchaîné » qui a diffusé de fausses nouvelles pour détourner les votes vers un candidat, ce qui est interdit en vertu du code électoral, est une bonne nouvelle.

  2. Très honnêtement… c’est tellement « alambiqué & tarabiscoté » (pour ne pas dire autre chose…) que j’ai eu du mal à aller jusqu’au bout de ce texte…
    Comme disait St Ex : « la vérité n’est pas ce qui se démontre, c’est ce qui simplifie »… l’inverse de ce texte en somme…
    Et fort heureusement, le peuple vote en fonction de ses tripes… bien plus qu’en fonction de grandes phrases qui à force de se croire « intelligentes » et uniques… n’intéressent absolument personne…
    Pour ma part je voterai sans la moindre hésitation et sans me prendre trop la tête, pour ma terre et mon peuple, et pour la mieux placée pour la défendre à ce 2ème tour.
    Cf la tribune de Bd Voltaire de ce jour sur Richard Wallace et les barons !

    1. Merci du tuyau, la prochaine fois, je m’adresserai aux boyaux de mes concitoyens. Mais je crains que le vote avec ses tripes ne vous déçoive, cher Richard Wallace : la République intestine et ses partis, dans mes tripes à moi, je ne les sens pas.

  3. Comment se fait-il que M. Macron ait eu le droit d’écrire sur ses affiches de campagne, sur son pupitre, au dernier meeting : « MACRON PRESIDENT » ? Il est CANDIDAT. Personne ne semble avoir parlé… ou remarqué cet effet « subliminal » ? Je trouve cela très grave…

  4. Merci et bravo pour cette analyse de haut vol. Votre éclairage très affûté sur l’intérêt du vote blanc dans la perspective des législatives m’amène à remettre en cause mon projet de vote Le Pen. Membre de LR, de Sens Commun, et du PCD, dirigé par un JF Poisson que je trouve remarquable, je suis poissonniste et non pas mariniste, mais pour moi Macron représente le mal absolu et me semble à 1000% incompatible avec mes valeurs chrétiennes. Quant au programme de LP j’ai fini par le trouver pas trop mal, après avoir examiné de plus près les mesures que je qualifiais de démagauchistes avant de mieux les connaître. Mais, comme j’ai toujours su bien-sûr que MLP ne serait pas élue (ce qui me donnait une raison de plus de voter pour elle), je vise les législatives depuis les résultats du 1er tour, en rêvant qu’une marée droitiste inonde l’assemblée et impose un Premier Ministre de Droite à Macron. (Je rêve aussi que les législatives soient précédées de la fondation d’un parti de Droite « de Droite », sociale en économie et conservatrice dans le sociétal, regroupant PCD, Sens Commun et Cie.) Dans ces conditions, je pense voter blanc demain, compte-tenu de ce que vous dites du vote blanc et de la façon dont il pourrait impacter la suite en vue des législatives. Haut les cœurs ! Elisabeth. PS Je me réjouis de vous voir citer le Pape François bien que vous soyez je crois rédacteur en chef de Liberté Politique, dont j’apprécie beaucoup la newsletter hebdo, mais dont certains articles très anti-François me dérangent, Pape qui, selon moi, parle des réfugiés avec la prudence et la diplomatie qui s’imposent, afin notamment de protéger les Chrétiens d’Orient, de la même manière que Pie XII s’auto-censurait en raison des sanctions auxquelles donnaient lieu ses prises de parole contre Hitler.

  5. A 22:36 j’ai écrit que par suite de la lecture de votre article je comptais voter blanc et non plus voter Le Pen, mais je vais peut-être changer d’avis, en raison de la confirmation du MacronLeaks que m’apprend un ami qui a reçu l’info de Roland Hureaux. Elisabeth.
    Cf : https://mobile.twitter.com/MacronLeaks_

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