Frappe US en Syrie : la nuit des dupes masquait un joli de coup de billard

Les armées opèrent régulièrement des frappes sur des hangars vides afin de calmer les politiques. Pour Trump, il s’agit de s’emparer des leviers du pouvoir.

1– LA FRAPPE de cette nuit [du 7 avril] montre le retour en force des néoconservateurs au sein de l’appareil d’État américain. Ceux-ci étaient en compétition avec les isolationnistes prorusses mais ont réussi à éliminer successivement le général Flynn puis Steve Bannon. Donald Trump leur a donné un gage symbolique cette nuit. Ceci va satisfaire les lobbys de l’armement qui craignaient par-dessus tout la fin des guerres américaines. Ceci va également satisfaire Israël dont les États-Unis se sont rapprochés. La frappe permet enfin de rassurer l’électorat américain qui était gêné par le rapprochement américano-russe. Elle lui donne l’illusion que l’Amérique demeure encore forte et indépendante. 

2– Trump, même s’il a été élu, n’est qu’un président symbolique dans la mesure où il ne s’est pas encore véritablement emparé des leviers du pouvoir. Il a contre lui l’appareil médiatique, judiciaire et financier. Il n’a la main que sur 2 à 3 % des fonctionnaires. Ses fidèles sont trop peu nombreux pour combler les postes de hauts fonctionnaires. Sa diplomatie n’a pas été renouvelée. Elle est paralysée. C’est la raison pour laquelle la Chine craignait ces jours-ci que Trump ne déclenche un conflit de basse intensité en Asie. D’importantes manœuvres associant la Corée du Sud et les États-Unis ont lieu en effet depuis début mars. Elles mobilisent 300.000 hommes. Or la guerre permet au président de s’emparer des leviers du pouvoir. Les Chinois avaient raison mais ils se sont trompés de théâtre.

3– La frappe n’a aucun impact militaire. Elle a été opérée loin du front. Elle ne modifiera pas le rapport de force en Syrie. L’on sait que les armées opèrent régulièrement des frappes sur des hangars vides afin de calmer les politiquesLes Russes — dont la défense anti-aérienne pouvait facilement mettre la frappe en échec — ont été prévenus. Les Syriens l’ont été par la même occasion. Autrement, la frappe n’aurait pas été faite de nuit avec aussi peu de victimes. Imagine-t-on d’ailleurs la conséquence d’une frappe de cinquante missiles contre un dépôt d’armes chimiques ? Le nuage de vapeurs chimiques aurait pu contaminer n’importe qui.

4– Cette frappe bénéficie paradoxalement à la Russie qui — au-delà des protestations d’usage — a intérêt à ce que Trump garde la face et surtout s’empare enfin du pouvoir. Poutine peut laisser Trump répandre l’illusion que l’Amérique a gardé un pied dans la porte en Syrie.

5– La durée de vie d’un missile Tomawak est limitée et il est plus économique de le tirer plutôt que de le détruire. En en tirant 50, Trump a montré ses muscles sans prendre de grands risques. Toutefois, l’autorisation donnée par Poutine à cette frappe ne sera pas sans contreparties. Sans doute faut-il attendre ces dernières là où on l’on s’y attend le moins : en Ukraine.

 

Thomas Flichy de La Neuville
vient de publier
Le Retournement Trump
Cerf, mars 2017,
130 pages, 14 €.

 

 

Thomas Flichy de La Neuville

Auteur : Thomas Flichy de La Neuville

Professeur à l'Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.

9 réflexions sur « Frappe US en Syrie : la nuit des dupes masquait un joli de coup de billard »

  1. Excellent article qui tranche avec la cécité des médias français. Dès le lendemain, la base bombardée était à nouveau opérationnelle. Sachant que l’Onu n’a jamais pu établir de responsabilité syrienne dans diverses attaques chimiques, mais est parvenue à établir parfois la responsabilité de jihadistes, les politiques qui ont applaudi cette frappe se trouvent désormais dans l’obligation d’applaudir également la lutte contre les jihadistes.

  2. La frappe de missiles contre des dépôts d’armes chimiques ne garantit pas nécessairement des conséquences désastreuses. En effet la plupart des gaz neurotoxiques (sarin en particulier) nécessitent d’être aérosolisés pour être efficace contre l’homme.

  3. Bonjour,
    je veux juste apporter un éclairage sur votre point 2 : les exercices américano-coréens dont vous parlez ont lieu chaque année à cette même période : Foal Eagle et Key resolve. En aout, c’est Ulchi Freedom Gardian.
    Ce calendrier d’exercices, archi-connu, est l’occasion pour la Corée du nord de mener des actions diplomatiques ou militaires en prétendant que les USA vont les attaquer. Il n’y a donc rien de nouveau dans ces exercices, que la Chine suit avec intérêt chaque année.
    Pour autant, si le point 2 n’est plus valable, je suis totalement d’accord sur le reste de votre réflexion.
    Cordialement.

  4. Excellente analyse, mais est mise à mal par le fait que Poutine vient d’annoncer que les Etats-Unis préparent des raids sur les banlieues sud de Damas. Là votre scénario ne tient plus…

    1. Si votre question est une question théorique, on peut en débattre. Si votre question porte sur la réalité, la réponse est non, et pour une raison très simple : Asselineau ne sera pas élu.

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