« Je suis chrétien »

« Je suis chrétien. » Il n’en faut pas plus pour déclencher une fatwa avec ce genre de propos iconoclaste chez un homme politique dans la France d’aujourd’hui. Évidemment, François Fillon, l’auteur du scandale, avait préparé son coup. Le calcul est de sa part audacieux, dans un contexte hyper laïciste. Mais en quoi est-il illégitime ?

TOUT CHRETIEN est fondé à revendiquer son droit de servir le bien commun en tant que chrétien. Mais les décisions qui peuvent être les siennes dans l’exercice de ses responsabilités, qu’il soit élu ou électeur, relèvent de son propre jugement et de sa raison. L’engagement politique du chrétien n’est pas un engagement confessionnel : il n’engage pas l’Église. Il se doit seulement d’être cohérent avec sa conscience, et en l’occurrence, puisqu’il est chrétien, avec les principes dont l’Église reconnaît qu’ils sont les fondements d’une société libre et digne de l’homme.

Ces principes, l’Église les soutient dans sa doctrine sociale, non en tant que principes religieux, mais en tant que principes humains, éthiques, universels.

Dès lors, les choix, les décisions politiques du chrétien sur les moyens à promouvoir et à mettre en œuvre pour appliquer ces principes relèvent de sa liberté et peuvent faire l’objet, entre chrétiens, d’options différentes selon le jugement pratique de chacun dans l’évaluation des moyens et des circonstances, par définition contingents. Autrement dit, pour le chrétien, il n’y pas de pluralisme moral — les principes sont communs — mais il y a un pluralisme politique.

C’est pour cette raison que l’Église n’est pas favorable aux partis chrétiens, comme l’a rappelé le pape François (30 avril 2015), qui auraient tendance à enfermer les chrétiens à la fois dans une logique de système exclusif et diviseur, mais aussi à encourager la confusion entre appartenance religieuse et appartenance politique, le jugement politique ne pouvant être que relatif. Le débat sur l’« identitarisme » catholique trouve ici un prolongement : l’engagement politique chrétien n’est pas réductible à une identité partisane (l’identité culturelle de la nation est une autre question).

De là dérive l’incongruité des critiques qui ont été adressées à François Fillon.

Le dogmatisme laïque

La première série de critiques vient du camp laïque, de Manuel Valls à l’impromptu François Bayrou (plus démocrate que chrétien), qui s’obstine à confondre dans la pensée de l’Église ce qu’elle a toujours distingué : le spirituel et le temporel (c’est même elle qui a inventé cette distinction !).

Dominés qu’ils sont par leur dogmatisme relativiste, assurément fanatique — au sens tribal des religions archaïques — les laïcards français ne supportent pas la référence à des principes objectifs métapolitiques. Pour eux, le bien et le mal sont relatifs et le recours à des valeurs qui précèdent la République et le fonctionnement démocratique sont du fascisme à l’état pur. D’où le péché suprême du chrétien qui, par son existence même dans le débat public, est une menace à la pureté démocratique qui est une éthique par elle-même.

Une critique chrétienne déplacée

La deuxième série de critiques vient des chrétiens qui n’acceptent pas qu’on puisse être un chrétien différent. Serait-ce que leur christianisme serait un christianisme politique ? Que François Fillon soit un bon ou un mauvais chrétien est une chose : c’est une affaire de conscience qu’il convient de respecter. Qu’il ne réponde pas publiquement à la cohérence à laquelle il est invité en tant que chrétien qui s’engage dans ses responsabilités en est une autre qui fait partie du débat légitime.

Mais il y a deux débats : l’un sur sa fidélité ou sa cohérence à l’égard des principes dont il se recommande (par exemple sur sa conception de la dignité de la personne, sur le respect de la vie) et l’autre sur les moyens qu’il choisit pour les mettre en application selon son appréciation des circonstances.

Des principes communs

En l’espèce, il convient donc de respecter cette distinction. En quoi François Fillon a-t-il manqué par exemple au respect des principes fondamentaux de la doctrine sociale de l’Église ? Interrogé par Tf1 sur son projet de réforme de la Sécurité sociale, il a déclaré, en tant que chrétien, qu’« [il ne prendrait] jamais une décision qui serait contraire au respect de la dignité humaine, au respect de la personne, de la solidarité ». Difficile d’être moins clair dans le propos. On peut discuter de sa sincérité ou discuter de sa politique, mais dans le principe, son positionnement n’est en rien scandaleux. D’autant plus et ce sont des chrétiens non suspects de dérive néo-libérale qui l’ont rappelé, que les réserves historiques du Magistère (Pie XII, Paul VI) sur le modèle étatique de la Sécurité sociale ne manquent pas (cf. Chrétiens dans la Cité, 26 déc. 2016).

Idem sur le débat qui avait opposé François Fillon à Alain Juppé sur l’avortement. Contrairement au maire de Bordeaux, François Fillon s’est nettement déclaré hostile au principe de l’avortement, même s’il soutient une politique qui, dans l’ordre des moyens ou de la stratégie, peut paraître timide, confuse, insuffisante et en tout cas critiquable. Mais il n’a pas soutenu le principe de l’IVG comme un bien, et il a plutôt évolué dans l’affirmation selon laquelle l’IVG n’est pas un droit fondamental. Sa coopération à l’IVG serait donc matérielle (acceptable) et non formelle (inacceptable), justifiée par des raisons de circonstance et non de principe.

Certes, charge à lui s’il est conséquent de tout entreprendre pour faire reculer l’avortement dans le respect des exigences du bien commun. Ou de faire en sorte que sa politique sociale soit la plus juste possible. C’est dans cette voie que les chrétiens honnêtes peuvent unir leurs efforts en s’appuyant sur leur attachement commun aux mêmes principes, éventuellement en débattant de leurs options stratégiques respectives, sans s’envoyant des anathèmes à la figure.

Ce qu’a voulu dire Jean-Frédéric Poisson dans un tweet du 9 janvier, qui reconnaît au candidat de la droite et du centre le droit d’être chrétien revendiqué : « On demande toujours plus de transparence aux politiques, et d’un autre côté on reproche à Fillon d’expliquer sur quoi il fonde ses valeurs. » Il y a là au moins un point de départ pour une saine coopération entre chrétiens, restant sauves les différences tactiques légitimes des uns et des autres.

 

Publié par le site de l’Observatoire socio-politique du diocèse de Fréjus-Toulon

En savoir plus :

Note doctrinale sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, Congrégation pour la doctrine de la foi, 2002.
Pape François, « Comment le chrétien doit se mêler de politique », Conscientia, 30 avril 2005.

Sur le pluralisme politique des catholiques :
Gaudium et Spes, 43, 2-3
Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 573-574
Catéchisme de l’Église catholique, 2442

 

3 réflexions sur « « Je suis chrétien » »

  1. « Difficile d’être moins clair dans le propos… », dites-vous au sujet de la fameuse déclaration de F. Fillon….Eu égard à vos autres considérations, et sauf incompréhension de ma part, n’auriez-vous pas plutôt voulu dire: « Difficile d’être plus clair… »?….Ce propos que vous ne trouvez en rien scandaleux, je l’avais pour ma part trouvé clair, y compris dans sa référence à la chrétienté.
    Par ailleurs, le propos complet de F. fillon était (de mémoire » :
    « Je suis un gaulliste social et de surcroît chrétien ».
    Dans une telle formulation, évidemmemment soigneusement préméditée, tout est dans le « de surcroît »! Synonyme à mes yeux de « accessoirement ».
    Mais bien sûr, et pour des raisons que vous pointez bien, la plupart n’ont voulu voir et entendre que le second terme, sans s’interroger sur ni commenter le premier. En privilégiant donc l’accessoire ou le subalterne, dans la proclamation de F’ Fillon, sur l’essentiel ou le primordial.
    Le gaullisme social étant un concept laïque, les laïcards et les vrais faux démocrates vrais faux chrétiens auraient mieux fait de commenter la putative correspondance de valeurs entre gaullisme social et chrétienté.
    Non?

    1. Plus clair, moins clair, « on dit les deux, et les deux se disent » aurait dit Vaugelas pour dire un peu la même chose ! Quant à « de surcroît », c’est aussi un peu la cerise sur le gâteau ? Donc pas nécessairement de manière accessoire, même si FF veut d’abord être jugé en tant que gaulliste, c’est-à-dire politiquement et non pas religieusement, la référence chrétienne ne pouvant par ailleurs ici, en toute bonne doctrine, être confessionnelle mais éthique ou rationnelle. Quant au gaullisme, même s’il y eut des gaullistes athées ou agnostiques, De Gaulle ne cachait pas son christianisme, ce qui laisse penser au minimum que ce n’est pas incompatible, même si ce « christianisme » n’était pas parfait (cf. François Huguenin, « Les Grandes figures catholiques de France », Perrin, 2016).

      1. Je suis d’accord, merci pour votre intérêt et cette réponse.
        Eh oui, la perfection n’est pas de ce monde…
        En chrétienté comme ailleurs.
        Au demeurant, nous voyons bien que la chrétienté est si diverse – certes et sans doute sur un socle commun de valeurs – qu’on peut se demander sincèrement et sans être ni théologien, ni jésuite, si « christianisme parfait » est un concept doté d’une existence et d’une réalité pratique.
        Difficile de le croire et de rester un homme libre! Et, bien sûr, nous ne parlons pas de foi, qui est un autre sujet !…
        Oui, distinguer éthique ou rationalité et confession est impérieux en politique.
        Votre billet est riche et lumineux. Il ne peut qu’éclairer ces chrétiens qui hélas ont critiqué F. Fillon.
        Je me suis permis de reprendre le lien sur ma page Facebook avec un commentaire personnel plus complet.
        Vous lire me procure du bonheur. Sur le fond, mais aussi sur la forme. On parle tant de notre langue, de sa maîtrise, premier véhicule de culture et aussi de différenciation sociale ! Et elle est tellement attaquée ! Ce thème était récurrent chez Alain Juppé. François Fillon le reprend un peu, voire beaucoup (discours de Nice), m’a-t-il semblé, je m’en réjouis… En ces périodes de ridicule « prédicat » (que n’y aurait-il à commenter quant à l’étymologie !) et de tentative d’assassinat du « cod » !…

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