Le discours écologique chrétien s’inscrit dans la longue histoire du dialogue de l’Église avec l’homme dans sa relation avec la nature. Sans cet éclairage historique, on ne peut comprendre la dernière encyclique pontificale consacrée à l’écologie, au risque de s’égarer en surface.
Comme toute encyclique, Laudato si’ affronte des réalités nouvelles, mais son objectif n’est pas d’abord de résoudre des questions pratiques. C’est au questionnement intérieur de l’homme d’aujourd’hui qu’elle s’adresse. Sous la prise de conscience du mouvement écologique, l’Église répond à une crise éthique qui se trouve une véritable crise de la Modernité. L’axe central de la démarche du pape s’appuie sur les travaux de Guardini, en particulier son essai prophétique, La Fin des temps modernes [1], qu’il cite sept fois.
L’homme et la nature dans l’Histoire
Depuis l’origine, l’homme cherche un sens à son existence, et c’est dans la nature, son cadre de vie, qu’il va le chercher. Cette relation à la nature se résume à une alternative très simple : la nature est Dieu, ou bien la nature est l’œuvre de Dieu. Dans ses réponses, l’homme trouvera l’espace de sa liberté et la réalité de son espérance.
Si la nature est Dieu, l’Absolu est à l’intérieur du monde. C’était la vision de l’homme de l’Antiquité. Au Moyen Âge, changement de perspective : la nature est pensée comme une création. Dieu est un Absolu hors du monde. Le pouvoir, ordonné au bien, devient une puissance relative. Avec la Modernité, la nature est considérée comme un tout autonome, porteur cependant de valeurs structurant le monde et les sociétés. Mais l’homme moderne découvre la subjectivité, la puissance de la culture et de la technique, qui lui permet de s’extraire de la nature et de la dominer. La connaissance, l’action et la création se construiront selon leurs lois propres, dans un processus de croissance sans limite. Ainsi naquit la foi dans le progrès, le bonheur à l’horizon.
Panthéisme ou loi naturelle
Cet accroissement de puissance illimitée, que le pape désigne sous le nom de « paradigme technocratique », inquiète aujourd’hui gravement, qu’il s’agisse de la technoscience, ou de la culture de la consommation à outrance. Devant sa capacité d’autodestruction, l’humanité devenue postmoderne prend peur, et se retourne vers la nature, comme une référence protectrice à nouveau nécessaire.
Déjà, en son temps, Rousseau avait vu la difficulté, mais son retour à la nature n’était pas une véritable remise en question. C’est le même problème aujourd’hui. Le danger reste extérieur, technique, matériel. À moins de basculer dans un véritable panthéisme et les délires de la deep ecology, l’usage de la puissance se pense selon de prétendues nécessités : l’utilité ou la sécurité.
L’Église s’adresse à un monde dont « l’anthropocentrisme dévié » revendique des valeurs et une conception de l’homme sans Dieu qui ne peuvent que se révéler impuissantes en face du paradigme technocratique et de la surconsommation. À ce monde, le message chrétien ne propose pas des formules pour « préserver la planète », mais une anthropologie intégrale, une éthique de la liberté.
[1]. Der Ende der Neuzeit, 1950, édition française Seuil, 1952.