Le pape et le démagogue

Sur la passe d’armes entre le pape François et le candidat Trump.

Trump crossé par le pape, pourquoi s’en étonner ? Au cours de sa conférence de presse à bord de son avion de retour de Mexico, le pape a déclaré : « Une personne qui ne pense qu’à construire des murs, où qu’ils soient, et non des ponts, n’est pas chrétienne. Ce n’est pas l’Évangile. »

TrumpPiqué au vif, Trump a répondu à sa manière : brutale, simpliste, malhonnête. Le Vatican devrait avoir conscience que « Lui, Président », l’État islamique n’existerait pas. Et il accuse le pape d’être un pion (“as a pawn”) du Mexique, ne voulant pas voir les conséquences du crime et du trafic de drogue sur la misère aux Etats-Unis.

Ou bien Trump ne sait pas lire, ou bien il nous trompe énormément. Tout le message du pape contre les ravages de l’immigration mexicaine était précisément d’appeler d’abord à la lutte contre les trafiquants, la drogue et la misère pour endiguer l’immigration. Mais les recettes de Trump sont dans la seule logique de la violence contre la violence, une efficacité fausse et injuste.

Sur la question de l’immigration, où le milliardaire fait figure de pragmatique courageux, prêt à renvoyer 11 millions de clandestins chez eux (facile), les catholiques américains responsables savent ce que dit l’Église sur l’accueil de l’étranger à la recherche de la sécurité et de ressources vitales (CEC, 2241). Ils savent aussi que rien ne peut se faire sans la loi, de part et d’autre, et qu’il n’y a pas de droits sans devoirs, dans le respect du patrimoine matériel et spirituel du pays d’accueil (id.).

Bref, ils veulent le respect des personnes, une frontière sûre et l’application des lois, pour des solutions durables, dans la justice. Le pape ne dit rien d‘autre.

Une caricature de la politique

La réponse de Trump est révélatrice de cette dérive de la politique qui vire au pur pragmatisme. D’où cette relation ambiguë avec les Églises. Les « leaders religieux » comme dit Trump, sont formidables quand leurs paroles sont subordonnées, autrement dit « utiles » aux intérêts de la politique. À défaut, ils sont critiquables, et s’ils peuvent servir de bouc émissaire, c’est encore mieux. Au nom du « politique d’abord », toujours. Mais ce « politique d’abord » est une réduction de la politique, affranchie de la morale et de la culture, de la justice et de la liberté. Ainsi Trump va se saisir de cet échange avec le pape pour enflammer les esprits et durcir encore la question de l’immigration, là où il serait plus sage de raisonner sans passion.

Il est manifeste que pour le pape François, Trump est le prototype d’une caricature de la politique. Comment croire que le cynisme du businessman puisse faire l’homme d’Etat, sachant « conduire un peuple » ?

Certes, l’homme impressionne par son bagout, sa puissance et sa liberté de ton contre le conformisme des hommes d’appareil et de l’establishment. Ce Bernard Tapie des Amériques est un pragmatique, énergique et grande gueule, mais ce n’est qu’un modèle de démagogue dont les Français fascinés par les sauveurs anti-système feraient bien de se méfier.

Comment faire confiance à un homme sans convictions qui achète le camp conservateur après avoir milité sans remords pour l’avortement et le « mariage homo », et qui a été un bailleur de fonds d’Hillary Clinton ?

Comment faire confiance à un homme qui prétend résoudre tous les problèmes par la magie de la force ou en contournant la loi ? Qui multiplie les promesses inconsidérées, feignant d’ignorer qu’un État, fut-il fédéral, est soumis à une constitution, et qu’il ne suffit pas de claquer dans les doigts pour transformer la réalité ?

Comment faire confiance à un homme qui a divorcé pour épouser sa maîtresse, dont il a divorcé à nouveau pour en épouser une autre, qui étale ses frasques sexuelles dans ses livres, qui insulte ses adversaires, qui se moque des handicapés et qui se vante de tricher au golf ?

Comment faire confiance à un faux industriel dont le seul talent est de s’être enrichi en achetant à vil prix le travail des autres, pour le revendre ensuite, et de se tirer habilement de ses multiples faillites comme on joue au Monopoly (Trump Magazine, Trump Airlines, Trump University) ?

La démagogie n’est pas une réponse

Trump est un démagogue. On a oublié ce qu’est un démagogue. Chez les Grecs, le démagogue est un manipulateur, qui flatte les passions du peuple, ses vertus ou sa cupidité, selon sa clientèle, en le dressant contre les notables (l’establishment). Sans scrupule, il joue tour à tour de la séduction, de la menace ou de la victimisation pour parvenir à ses fins : le pouvoir ou la gloire, à tout prix. Pour lui, le peuple n’est pas un sujet, c’est un instrument.

Trump est un démagogue qui pêche au gros, mais il y a partout de petits démagogues, les démagogues alimentaires qui exploitent chacun leur niche pour exister. Les moyens modernes de communication, à la portée de tous, ont démultiplié leur nombre. Leur méthode consiste à seriner adroitement ce que le public attend. Ce sont plus volontiers des idéologues, là où Trump est simplement cynique. Car ils s’abritent derrière une cause pour exister, une cause magique et des recettes miracles, d’autant plus séduisantes qu’elles sont exclusives et radicales. « Moi ou l’insécurité », « moi ou la misère », « moi ou l’immoralité », « moi ou la pollution », « moi, le nettoyeur du système », je vous en donne ! Et ça marche !

Les Américains rejettent l’establishment, les Français n’ont plus confiance dans la classe politique. Soit. Mais prudence : la démagogie n’est pas une réponse à l’aveuglement des technos qui nous gouvernent.

 

Publié par l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon

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