LA MESSE DE RENTREE des parlementaires a eu lieu le 10 octobre. La dernière de la législature, car, les élections législatives approchent et seront précédés de l’élection présidentielle. « L’Eglise ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique, écrivait le pape dans l’encyclique Dieu est amour, mais elle ne peut ni ne doit non plus rester à l’écart dans la lutte pour la justice. » Mais comment choisir parmi ceux parmi ceux qui souhaitent représenter et servir la nation ? Pour éclairer la réflexion, nous avons interrogé le P. Mathieu Rougé, directeur du Service pastoral d’Etudes politiques, Philippe de Saint-Germain, délégué général de la Fondation de Service politique, et Hervé L’Huillier, président de l’association « Evangile et société ».
1/ Le vote est-il une obligation ?
« Tout catholique est tenu d’exercer ses responsabilités dans la cité » répond Philippe de Saint-Germain, « la participation est un devoir que chacun doit exercer de manière responsable » explique le P. Mathieu Rougé, « le vote est une des expressions de l’engagement des chrétiens au service de la communauté humaine » rappelle Hervé L’Huillier. Ainsi, si voter n’est pas obligatoire dans la loi, les catholiques y sont tout de même fermement invités. Pas question de rester un spectateur désabusé, critique et finalement paresseux. Il peut exister des cas où il est difficile de prendre position, comme ce fut le cas pour le Traité constitutionnel européen, mais lorsqu’il s’agit d’élections qui décideront de l’avenir du pays, où l’on a le choix des candidats, il faut oser choisir, à condition, comme le dit Ph. de Saint-Germain, de le faire avec sagesse, et en conscience. Il faut rappeler aussi que le vote n’est qu’une des expressions de l’engagement politique, mais il en est une des formes essentielles.
2/ Faut-il privilégier un candidat qui affirme son identité chrétienne ?
« Prudence » recommandent Ph. de Saint-Germain et Hervé L’Huillier. « La première question n’est peut-être pas celle-là » ajoute le P. Rougé. « Il est important que des chrétiens aient le courage d’affirmer cette identité, mais ils n’ont pas à s’en servir pour s’assurer du soutien des catholiques » explique le père. Selon Ph. de Saint-Germain, ce qu’il faut vérifier, c’est l’ajustement du projet avec ce que dit la morale naturelle. H. L’Huillier ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme : « C’est davantage la capacité d’un candidat à être au plus profond de lui-même authentiquement fidèle à ce substrat chrétien qu’il faut essayer de percevoir. »
3/ Quels sont les sujets dans un programme à examiner en priorité ?
La vraie priorité pour le P. Rougé c’est « le respect de dignité de la personne humaine dans toutes ses dimensions ». Et cette question ne concerne pas seulement l’individu « mais aussi l’homme membre d’une communauté humaine, donc la manière d’aborder les questions liées par exemple à la mondialisation et à l’aide au développement ». Ph. de Saint-Germain rappelle les exigences éthiques fondamentales énoncées par le cardinal Ratzinger dans la Note doctrinale de la Congrégation pour la doctrine de la foi sur l’engagement des catholiques dans la vie politique : d’abord trois priorités, « non négociables », qui sont le respect de la vie, la protection de la famille fondée sur le mariage monogame entre personnes de sexe différent et enfin la liberté d’éducation. La Note ajoute deux orientations nécessaires : « Le droit à la liberté religieuse et le développement d’une économie au service du bien commun et de la personne. » C’est sur ce dernier point qu’H. L’Huillier met plutôt l’accent. Pour le reste, les chrétiens ne sont pas tenus d’avoir un point de vue spécifiquement confessionnel sur tous les sujets, affirment Ph. de Saint-Germain et le P. Rougé. L’essentiel est de comprendre comment un projet politique peut respecter la personne humaine et la servir.
4/ Les qualités humaines d’un candidat sont-elles à prendre en compte ?
C’est une question sur laquelle on ne peut faire l’impasse. Car pour H. L’Huillier, s’il faut se garder de juger, il observe que nous vivons une crise politique grave du point de vue de l’exemplarité des élites. Ph. de Saint-Germain, considère qu’un des facteurs de la crise politique française est le cloisonnement opéré par les hommes politiques entre leurs convictions et l’exercice de leurs responsabilités. On ne veut pas imposer ses convictions à l’ensemble de la société française, dès lors qu’elles relèvent de la morale. C’est le meilleur moyen, selon Ph. de Saint-Germain de troubler les consciences, alors que l’homme politique se doit de les éclairer. C’est pourquoi la première qualité d’un candidat est d’être cohérent avec sa conscience, d’avoir le courage de témoigner, quitte à renoncer à son mandat. Le P. Rougé se réfère au Compendium de la doctrine sociale pour énumérer les qualités souhaitables chez un candidat : un vrai souci de la justice et de l’équité, le choix de la vérité et suffisamment de liberté intérieure pour résister aux modes et aux conformismes.
5/ Si aucun candidat ne réunit les critères requis, faut-il voter blanc ou en choisir un par défaut ?
L’abstention peut être légitime, à condition d’être argumentée, explique Ph. de Saint-Germain. Pour le P. Rougé, il peut y avoir en effet des cas limites, où il n’est pas possible de donner son vote. La plupart du temps, il s’agit de choisir « le meilleur possible », celui qui offre plus d’espace que d’autres. Mais attention à ne pas sacraliser le vote, rappellent-ils tous les deux. « Aujourd’hui, on attend trop de l’homme politique. C’est l’homme providentiel qui doit tout résoudre : la canicule, le changement climatique… » remarque le P. Rougé. « Si on attend d’avoir un saint immédiatement canonisable, on attendra longtemps ou on se fera illusion ! Cela dit, il y a, dans notre pays, des hommes et des femmes courageux qui méritent d’être soutenus. » « Il nous appartient de susciter les candidats qui réunissent tous les critères qui nous paraissent essentiels », rappelle enfin Hervé L’Huillier.
6/ Comment se former pour mieux discerner ?
« Il faut d’abord avoir la conscience de la nécessité de se former » rappelle Ph. de Saint-Germain. « Trop souvent les discussions politiques que les Français affectionnent, restent au niveau du café du commerce » ajoute le P. Rougé. Pourtant les documents et les lieux ne manquent pas, surtout à Paris. Le document de référence, pour la Fondation de Service politique, est la Note doctrinale, publiée en novembre 2002, que peu de catholiques connaissent. Le P. Rougé encourage à travailler en petits groupes ce document ainsi que le Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise. La Doctrine sociale n’est pas, comme certains pourraient le craindre, « un corps ficelé d’exigences morales », mais une réflexion approfondie qui prend en compte tous les aspects de la vie en société. Il faut que les chrétiens comprennent que la foi ne donne pas de solutions toutes faites, mais qu’elle peut éclairer et purifier leur réflexion » conclut le P. Rougé.
Propos recueillis par Frédérique de Watrigant pour Paris-Notre-Dame, 12 octobre 2006.