IL N’Y A PAS DE VOTE CATHOLIQUE EVIDENT ni obligatoire. L’examen des programmes, la personnalité des candidats, l’enseignement de l’Église, la volonté de dégager le bien commun, autant de facteurs à prendre en compte qui empêchent de donner un mot d’ordre évident — sinon la nécessité de réfléchir et de s’engager. Pour Philippe de Saint-Germain, « un catholique ne peut idolâtrer ni diaboliser un candidat ou une politique ».
Politique magazine. — Loïc Simonnet vient de faire paraître un livre aux éditions du Bien Commun, Pourquoi les catholiques ne revoteront pas pour Macron. Pensez-vous qu’il existe un vote catholique homogène, et pensez-vous que celui-ci se portera sur Macron, ou non ?
Philippe de Saint-Germain. — Non, le vote catholique n’est pas homogène, et c’est normal, dès lors que la foi n’induit pas des normes politiques, a fortiori des stratégies. S’agissant des catholiques pratiquants réguliers, ils n’ont été majoritairement macronistes en 2017 que par défaut. Ce n’était pas un vote d’adhésion. Selon la configuration du deuxième tour de 2022, il est probable qu’une partie des catholiques se portera sur le président sortant, surtout si celui-ci est opposé à un candidat nationaliste, de gauche ou de droite. Le catholique français est historiquement porté à soutenir des options politiques modérées. La question est de savoir si le président Macron est modéré. À mon avis, sa modération est un leurre.
Le quinquennat de Macron a vu de nombreuses questions bioéthiques, dites « sociétales », prendre un tour peu catholique, le débat sur l’euthanasie, en cours, n’allant pas vraiment non plus dans le sens de l’Église. Ces questions bioéthiques sont-elles un élément crucial pour déterminer à qui apporter son suffrage ?
Assurément oui, dans la mesure où c’est l’anthropologie qui fonde d’abord un projet politique.
Ou peut-on considérer qu’il ne faut pas surévaluer ces questions, « principes éthiques » non-négociables, en considérant qu’il existe d’autres principes, sociaux, eux, aussi peu négociables, comme une économie au service de la personne, une justice sociale, etc. ?
Le pape Benoît XVI n’avait pas placé au hasard le respect de la vie, de la famille fondée sur le mariage, de la liberté d’éducation, de conscience et de religion au premier rang de ces principes. La raison est anthropologique : le fait moral précède le fait social, au sens où c’est la science du bien de l’homme qui fait le bien de la société. Avant lui, Jean-Paul II avait parlé du droit à la vie comme le premier des droits et le droit à la liberté religieuse comme la base de tous les droits. Cela dit, en effet, ces principes étant les piliers constitutifs d’une société libre, ils ne sont pas exclusifs les uns des autres, et il faut les considérer dans leur ensemble. « Tout est lié » dirait le pape François.
D’ailleurs, à cet égard, pourrait-on noter le quinquennat Macron et les programmes des différents candidats pour déterminer celui qui s’éloigne le moins de tous ces principes éthiques ?
Il ne faut pas se tromper sur le sens de ces principes non-négociables. Ces principes ne sont pas des idéaux absolus qu’il suffirait de cocher dans les bonnes cases pour être politiquement juste. Par définition, un principe est un point de départ de l’action (ce qui est premier dans l’intention) et un point d’arrivée (ce qui est dernier dans l’exécution). Le jugement politique est éclairé par les principes, mais il s’exerce dans l’action. Le principe n’est pas l’action. Les principes ne sont pas négociables, mais dans leur application nous sommes dans le champ du relatif : plusieurs stratégies sont possibles, y compris dans le choix des priorités à mettre en œuvre, c’est pourquoi il est difficile d’établir un classement.
La Fédération protestante de France a publié une adresse aux candidats qui critique vivement le contrat d’engagement républicain de la loi du 24 août 2021, loi pour laquelle les évêques, dans leur déclaration L’espérance ne déçoit pas, adoptent une formulation plus prudente : « Le débat sur la “loi confortant le respect des principes de la République” a mis en évidence une tentation : celle de porter atteinte, par souci de la sécurité, à la liberté d’expression, d’association, d’éducation, voire de culte, et à l’égalité des citoyens, qu’ils soient ou non croyants. » Cette loi modifie-t-elle les conditions pratiques de la liberté de culte et de la liberté d’association, en France ?
Marlène Schiappa a assuré que « l’objet de ce contrat n’est pas d’empêcher l’activité des associations confessionnelles », mais rien n’indique que les institutions catholiques qui pratiquent un service public, par exemple dans le domaine de l’éducation ou de la santé, ne seront pas un jour menacées si les pouvoirs publics ou une collectivité locale leur reprochent par exemple de « porter atteinte à la dignité de la personne humaine » en s’opposant à l’avortement.
D’un point de vue catholique, peut-on considérer que le quinquennat d’Emmanuel Macron a effectivement servi le bien commun, indépendamment des aspects plus déplaisants que nous venons d’évoquer ?
Le quinquennat d’Emmanuel Macron n’a pas été un long fleuve tranquille, et il a fait ce qu’il a pu à sa manière, selon une vision progressiste et multiculturaliste : crise des Gilets jaunes, crise sanitaire et depuis quelques jours guerre aux confins de l’Europe. Le bien commun dépend d’abord de l’action des Français et de la société civile, mais avec Emmanuel Macron, l’État est de plus en plus présent, comme l’a montré la gestion de la crise sanitaire, aux dépens de la liberté subsidiaire de la société civile : l’instauration d’un véritable hygiénisme d’État, centré sur un système de santé autoritaire et d’une médecine administrative et hospitalière est très contestable. Sur les questions régaliennes, le quinquennat n’a pas brillé. Les Français se plaignent de la montée de l’insécurité. Le taux de chômage a baissé, mais la France est toujours dans le peloton de queue des pays européens. La politique africaine est un échec, faute de ligne claire, malgré la qualité des troupes françaises de l’opération Barkhane. En matière d’environnement, le gouvernement a fait droit à l’écologie punitive en multipliant des contraintes à l’effet marginal, tout en découvrant au bout de cinq ans que l’énergie nucléaire était la plus adaptée à la décarbonation de notre mix énergétique. Les catholiques ne peuvent pas ignorer non plus la consolidation de la transformation de la politique familiale en politique sociale, avec le renforcement de l’intervention de l’État sur la liberté des familles (scolarisation de plus en plus précoce, mise en place d’un régime d’autorisation de l’école à la maison…).
Est-ce que la question de l’accueil des immigrants est devenue la question catholique la plus importante pour déterminer son choix électoral ?
Ce problème n’est pas mineur mais, honnêtement, je crois qu’il est mal posé. Parce qu’il est associé à un drame social, il est considéré pour les uns comme une priorité absolue et pour les autres comme un mal absolu. Les catholiques doivent montrer qu’il faut distinguer ce qui relève des exigences de la charité particulière, de la solidarité nationale, de la justice et ce qui relève de la politique étrangère. L’accueil des migrants soulève une question politique centrale dont on ne parle pas assez et que les catholiques devraient considérer comme essentielle, en amont de toute politique : la place de la culture dans l’unité de la communauté nationale, indépendamment de toute vision nationaliste fermée. On ne peut pas accueillir toute la misère du monde si l’on n’a pas d’abord une culture à offrir et à aimer pour garantir une intégration réussie.
Doit-on intégrer la question de l’Ukraine dans le choix catholique : le choix du conflit, la volonté de négocier, le sens de l’intérêt national ?
Il est clair que la recherche de la paix doit être une priorité, et que les catholiques ne peuvent pas favoriser une politique aussi bien va-t-en-guerre, qui met de l’huile sur le feu en voulant s’interposer au nom des droits-de-l’homme, qu’une politique pacifiste qui encourage les boutefeux à avancer leurs pions sans retenue. Jean Paul II disait que la guerre est toujours une « faillite morale », une « aventure sans retour ». La bonne option serait le choix de la médiation, en toute souveraineté et indépendance dans la meilleure tradition française pour rétablir la paix, dans la justice et le droit des nations.
En fait, peut-on facilement objectiver son choix au regard des déclarations des évêques de France, du pape François et de la doctrine sociale de l’Église ? Peut-on à coup sûr catholiquement exclure tel ou tel candidat du choix des catholiques ?
Les déclarations épiscopales ou pontificales font autorité sur les conseils évangéliques et sur les principes, pas sur leurs conditions de mise en œuvre. C’est pourquoi l’Église reconnaît la légitime pluralité de l’engagement politique des catholiques, notamment à travers leur vote. Car le vote n’a pas une fonction morale ou religieuse. On ne vote pas pour décider du bien et du mal. En dépit de sa portée symbolique, tout à fait respectable, il n’a rien de sacré. Le vote est un choix prudentiel, ordonné à une finalité pratique. Un catholique ne peut idolâtrer un candidat ou une politique, ni non plus diaboliser un candidat ou une politique comme une idole à l’envers. Son choix doit être rationnel. Une question à se poser par exemple serait celle-ci : les deux premières conditions du bien commun étant la paix sociale et la vertu des citoyens, quelle politique a-t-elle le plus de chance de servir ces deux conditions ?
Peut-on imaginer qu’au regard de l’offre politique actuelle il n’y a pas d’obstacle au fait de voter blanc ou même de s’abstenir, d’un point de vue catholique ?
Il faut revenir sur le sens du vote lui-même. Quand les évêques appellent au discernement électoral en rappelant que « l’espérance ne déçoit pas », ils libèrent la politique du mythe de l’avènement du Royaume de Dieu sur terre. Un catholique ne cherche pas dans sa foi un modèle politique, mais une règle morale de l’action politique, éclairée par la prudence. Le vote du catholique a donc moins pour fonction d’exprimer une conviction que de peser, à travers le choix des décideurs, sur une évolution politique qui facilitera l’exercice de son devoir d’état au service du bien commun. Rien de plus. La déclaration épiscopale de 2022 a légitimé le vote blanc, laissant entendre que l’offre politique du moment peut être légitimement jugée insatisfaisante. Cela peut paraître contradictoire avec le devoir de faire progresser le bien commun coûte que coûte, mais dès lors que le vote est une décision technique avant tout, il doit être décidé en fonction de ses conséquences sur la constitution d’une majorité parlementaire aux élections législatives. Si aucun des candidats n’est jugé acceptable, il faut penser à l’effet de son vote sur la constitution de l’opposition parlementaire le plus en mesure de contrôler le président élu, qui ne sera peut-être pas dans le camp du challenger s’il n’est pas jugé en mesure de rassembler une opposition efficace. Dès lors, le vote blanc a toute sa pertinence.
Paru dans Politique magazine, 16 mars 2022.