DE LA TENDRESSE pour ce roman de l’ami Gabriel Privat publié cet été chez Téqui, en raison de son titre qui porte le nom de mon village natal, Sommervieu, dans le Bessin normand où je replonge dès que la vie parisienne me libère. Le Portrait de Martin Sommervieu raconte l’histoire de deux Martin Sommervieu, l’aïeul et son descendant que le hasard ou la Providence réunit mystérieusement. L’un est un chouan normand. L’autre, un banquier parisien contemporain.
La population tend le dos, mais qu’on ne vienne pas la chercher…
Un mot sur le cadre historique. L’épopée discrète mais bien réelle de la chouannerie normande a attiré de grands écrivains (Barbey d’Aurevilly, Balzac, La Varende…) mais a laissé peu de souvenirs dans les mémoires. Pourtant, les troupes du comte Louis de Frotté étaient partout chez elles dans la province durant la Révolution et ont mené la vie dure aux Bleus. Privat le raconte très bien. Dans le Bessin, terre maritime et agricole prospère, l’ambiance est plutôt girondine. Ici comme ailleurs, des excités sectaires veulent régler leurs comptes aux méfiants qui ne chantent pas les idées nouvelles. Prudente, la population tend le dos. Des filières assurent des passages vers l’Angleterre. Edgeworth de Firmont, l’abbé qui accompagna le roi sur les marches de l’échafaud le 21 janvier 1793 (« Fils de saint Louis, montez au Ciel ! ») planqua à Guéron, au sud de Bayeux, avant de s’embarquer clandestinement outre-Manche. À Sommervieu justement, où résidaient l’été les évêques de Bayeux, la population se mobilisa pour protéger la grille du château épiscopal que des sans-culottes bayeusains voulaient déboulonner. Si le château s’est pris des obus de marine pendant le Débarquement de 1944 — nous sommes à quatre kilomètres de la mer — la grille majestueuse existe toujours.
Cet été, j’ai pris connaissance d’une affaire qui secoua la région : le maire de Creully, dans la vallée de la Seulle, s’étant acharné à dénoncer les pauvres gars pas chauds pour donner leur sang à la République en abandonnant leur famille et leur terre, s’est pris une rossée par un détachement de chouans venus des villages alentour en pénétrant chez lui par le mur du presbytère. Les gars devaient être sacrément agiles, car le mur que l’on voit toujours était haut. Pour son malheur, l’imbécile voulut se défendre, et les Blancs lui firent son compte assez salement : n’étant pas armés, dit la chronique, ils ont dû cogner fort. Avec un peu de chance, ils lui ont laissé le temps de faire ses prières, ce qui était l’usage. Les chouans repartirent avec le fusil du maire, lequel fut enterré sous une pyramide de mécréant ridicule à l’ombre de la croix du cimetière communal.
Une intrigue buissonneuse
Quant à nos deux Sommervieu, leur histoire croisée ne se dévoile pas trop. Martin l’Ancien est un soldat du roi qui cherche un sens à sa fidélité. Martin le Jeune est un businessman contrarié qui cherche un sens à sa vie. Le roman montre comment l’histoire peut éclairer le présent, moins pour l’expliquer que pour le guider à travers le choix des hommes. Ce livre est taillé à la chouanne : un récit pittoresque, une intrigue buissonneuse comme les haies du Bessin, des personnages complexes. Dommage peut-être que le clair-obscur des chemins creux du bocage n’ait pas laissé planner davantage de mystère. Dans ces aventures mi-guerrières, mi-métaphysiques, on aime se faire chouan comme la chouette : voir la lumière seul dans la nuit.
Gabriel Privat
Le Portrait de Martin Sommervieu
Téqui, 262 pages, 20 €