« N’ayez pas peur ! » Appel à une société subsidiaire 

La crise sanitaire a montré les limites d’un État omnipotent, gouvernant par la crainte, sous la tutelle des experts. Contraint de se « réinventer », l’État tourne en rond. Quand le Premier ministre appelle l’administration à « écouter les territoires », il demeure dans le logiciel contrôleur de l’État gestionnaire. La France ne retrouvera l’espérance que dans une société réellement subsidiaire, bâtie sur la confiance.

LA GESTION DE LA CRISE SANITAIRE a beaucoup parlé. Dans un chaos incertain, on a vu le fossé se creuser entre les tâtonnements d’une autorité publique centralisée et la mobilisation périlleuse des citoyens pour assumer les nécessités du quotidien et faire vivre le pays. En voulant se faire acteur de toutes les situations, l’État a montré les limites d’un pouvoir en première ligne qui reçoit de plein fouet les inquiétudes et les souffrances de chacun.

Pourquoi, par exemple, s’être obstiné dans la logique d’une médecine administrative suspendant la liberté de prescription des médecins généralistes, en première ligne dans la lutte contre la Covid ? Si le choc récessif en France a été le pire de tous les pays du G7 (-12,5% contre -6,8% en RFA ou 5,7% aux États-Unis), c’est en partie à cause de sa gouvernance, accuse le très officiel Conseil d’analyse économique (CAE) : « La défiance entre les acteurs, le caractère uniforme des mesures économiques, la culture de la norme… » S’est installée la perception d’un État mettant en place un « meilleur des mondes tutélaire », ce que Foucault appelait une biopolitique : quadrillage du territoire, isolement des individus, diffusion inlassable d’une morale hygiéniste qui s’en prend aux conduites. Le manque de clarté, l’insincérité du discours, la stratégie de la menace et du contrôle permanent, y compris de la parole, donnent le sentiment que le pouvoir politique fondait davantage son autorité sur la peur, comme s’il avait peur lui-même, que sur l’appel à la responsabilité de tous au service de l’avenir de la nation tout entière.

L’État ne sait plus proposer une morale du dépassement

Confronté à une crise économique gravissime, mais aussi à une crise de société et un État lui-même piégé par sa volonté d’être « efficace » et le temps qui se réduit, le ministère Macron-Castex surjoue la carte des « territoires » en tentant l’impossible : manager l’administration en quantifiant ses résultats, déconcentrer les services de l’État mais sans aucun transfert de compétences ni de moyens aux collectivités locales. « En supprimant les recettes locales, l’État central rétablit une forme de tutelle sur les collectivités locales dont les ressources dépendront de plus de sa seule décision » s’insurge l’AMF. Pour neutraliser l’opposition de droite, la manipulation de la sémantique des « territoires ». Pour calmer son aile gauche, précipiter au cœur de l’été l’adoption d’une loi de transgression bioéthique dont les Français ne voient vraiment pas l’urgence. Surtout, en fixant comme cap prioritaire la relance économique financée par la dette et un emprunt sous contrôle européen, le gouvernement demeure dans le logiciel de l’État gestionnaire incapable de libérer les énergies. Il ne sait plus proposer une dynamique morale du dépassement apte à transcender les égoïsmes entretenus par une culture de l’assistanat, du consumérisme sans limite et du relativisme moral.

Alors que les informations les plus contradictoires continuent de pleuvoir sur la réalité de l’épidémie, il nous faut sortir durablement de la spirale de la défiance. Notre défi est de réunir la puissance du collectif et la libération des aspirations individuelles les plus légitimes, dans une vision commune de l’homme et de la société, dont nous sommes les héritiers. Il est notable de constater que les pays qui ont su faire bloc pour maîtriser le pic de la pandémie, sont ceux qui ont fait appel à leur histoire, en assumant leur souveraineté, en s’appuyant sur les familles et sur l’engagement des acteurs de terrain.

La voie de la société subsidiaire

La voie que nous proposons est celle d’une société subsidiaire, assise sur la liberté responsable de la société civile. Elle seule établira la confiance en donnant à chaque citoyen autorité sur les décisions qu’il est en mesure de prendre dans tous ses cadres de vie, y compris les « territoires » qu’il faudrait commencer par définir comme des communautés.

Que faut-il entendre par subsidiarité ? Le sens du mot est galvaudé qui est le plus souvent compris à l’envers, comme dans le cadre des institutions européennes. Par subsidiarité, nous entendons le principe anthropologique selon lequel la responsabilité de chaque personne et de chaque groupe s’exerce au plus bas niveau d’autorité compétent, dans le cadre d’une communauté politique unie par des valeurs partagées et poursuivant un bien commun. Il ne s’agit donc pas d’une délégation de pouvoir de la part des autorités, plus ou moins libéralement accordée, mais d’une chaîne de délégations issue de la société d’en-bas qui transfère à l’échelon supérieur la responsabilité des questions qui dépassent ses capacités. Cette société subsidiaire est à la fois libératrice et protectrice. Elle suppose que l’État se centre sur ses missions régaliennes et que les corps intermédiaires de toute nature (familles, entreprises, associations, collectivités locales…) trouvent leur pleine liberté d’initiative et de responsabilité, avec l’aide (subsidium) et non le contrôle de l’administration.

Et puis quand des pans entiers de la société appellent à une vie collective plus respectueuse de la planète, un retour à une dimension moins bureaucratique et centralisée de l’organisation sociale, plus proche des réalités locales, participerait de cette prise de conscience écologique. Oui, l’écologie sérieuse qui rejoint les aspirations populaires les plus sincères est subsidiaire en tant qu’elle part du bas, du réel, du concret de l’existence.

Aux corps intermédiaires de reprendre la main

Par où commencer ? Les grandes réformes en France ont tendance à être pensées depuis le haut, ce qui est sans doute la raison de leurs succès très relatifs, quand les montagnes n’accouchent pas d’une souris. Ou bien elles naissent dans l’extrême violence, par nécessité. C’est donc aux corps intermédiaires qu’il conviendrait de réfléchir et de proposer la mise en œuvre d’une libération progressive, responsable et solidaire des acteurs de l’éducation et de la culture, de l’économie, de la santé, des collectivités territoriales… à condition de ne pas considérer les corps intermédiaires, ainsi que le président Macron a tendance à le faire, comme des représentants de telle ou telle catégorie de Français (les syndicats, les élus…), ou comme des circonscriptions administratives, mais comme les acteurs eux-mêmes du travail des Français. Quand le nouveau Premier ministre, Jean Castex annonce un « nouveau pacte social » en « ouvrant des concertations avec les partenaires sociaux », on est toujours dans le modèle de la délégation con-descendante, même s’il affirme que « tout ne peut pas se décider depuis Paris ». L’avenir dira s’il est prêt à provoquer un « big bang » territorial autrement que comme la dilution locale du centralisme bureaucratique, rebaptisé « déconcentration ». Tant que l’État persiste à vouloir garder la main pour « adapter le pays à la mondialisation », la grande ambition macronienne, en s’obstinant dans une vision de la subsidiarité descendante et non ascendante, on n’avancera pas.

Un État fort, mais limité

C’est à la société civile et aux acteurs économiques particulièrement, de prendre l’initiative pour affronter la crise et redonner espoir. Les laboratoires d’idées doivent affronter le défi de la « subsidiarisation » de la nation. L’IEPM, pour sa part, accompagnera la réflexion commune en travaillant à la déclinaison très pratique de la subsidiarité dans les secteurs clés des territoires, de la santé, de l’éducation et de la culture, de l’économie. L’écologie elle-même, réalité transversale par définition, ne réussira comme dynamique de transformation sociale que comme l’expression d’une mise en œuvre réaliste et nécessaire du principe de subsidiarité, qui la sortira de la logique du moralisme idéologique globalisant, parfaitement stérile. 

Cette prise en main de la société civile suppose que l’État se libère de sa volonté de contrôle permanent en retrouvant sa pleine autorité dans ses fonctions régaliennes (justice, sécurité intérieure et extérieure, diplomatie, monnaie), en se donnant les moyens requis nécessaires, à la hauteur de ses missions. La subsidiarité est le contraire de la dépendance et de l’assistanat. L’autorité n’est pas là pour se substituer, ni même pour déléguer, mais pour veiller à ce que chacun puisse prendre sa juste part dans l’édification de la maison commune. La subsidiarité d’une société libre et respectueuse de la dignité des personnes exige un État fort, mais limité.

N’ayez pas peur !

Quand le pape Jean Paul II apostrophait les peuples avec son « N’ayez pas peur ! », il portait l’expérience d’un homme qui avait lutté contre les politiques engluées dans leurs certitudes. Pour lui, la véritable vertu de la politique était l’espérance : savoir dire non aux déterminismes politiques incapables de faire confiance. L’enjeu d’aujourd’hui après la pandémie sera d’assumer notre liberté responsable, aussi bien personnelle que collective. Le droit à la subsidiarité est inséparable d’une démocratie vertueuse, fondée sur la liberté des personnes. Ce droit, il faut le reconnaître, est tout sauf acquis. Une inscription du principe de subsidiarité réel « ascendant » dans la Constitution serait un signe fort. La formule d’états généraux proposé par l’essayiste Édouard Tétreau pourrait servir de cadre au renversement copernicien dont la France a besoin pour reconstruire une espérance politique. 

Pour l’IEPM Montalembert, paru sur le Figaro Vox, 24 septembre 2020.

IEPM

Auteur : IEPM

Institut éthique et politique Montalembert

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