AINSI DONC, la vérité historique et l’hommage républicain ne sont pas compatibles, dixit le porte-parole du gouvernement. Selon Benjamin Griveaux, dans les propos du président de la République concernant le maréchal Pétain, « il n’était nullement question d’hommage républicain, mais de vérité historique ». Autrement dit, la République n’est pas soumise à la vérité pour honorer qui elle veut : la vérité ne peut s’assumer que si elle est politiquement conforme. Emmanuel Macron avait pourtant raison de dire que Philippe Pétain fut un « grand soldat ». Cela eût été à l’honneur de la République d’assumer officiellement cet hommage à l’Histoire et à la vérité, quoique la République eût à juger du chef de l’État Philippe Pétain.
L’instrumentalisation de l’histoire
Mais cette distance à l’égard de la vérité dit autre chose : la classe politique française se reconnaît moins dans la res publica que dans un système politique partisan. Elle honore moins la justice, la vérité et les valeurs morales dans leur objectivité et leur faiblesse, car elles ne sont jamais absolues, que dans des options politiquement acceptables. Ce devrait pourtant être la sagesse du politique de reconnaître en chaque homme sa noblesse et son imperfection, et en chaque histoire la part du tragique. L’humilité de l’homme face à l’homme est décidément une bataille difficile. La politique et l’éthique modernes se satisfont plutôt dans des modèles théoriques, le camp du bien contre le camp du mal, que dans l’exercice difficile de la vertu, toujours à reconquérir. D’où cette lecture instrumentale de l’histoire, son manque de nuance et de justice.
Un général trop catholique
Castelnau, le vainqueur de la bataille du Grand Couronné qui décida du sort de la guerre à son début, et qui nomma Pétain à Verdun, ne reçut pas le bâton de maréchal, au motif qu’il était trop catholique. Pétain, on sait ce qu’il en fût.
On sait moins que les deux généraux, fin 1918, regrettèrent et le firent savoir, que l’armistice fut mal négocié, permettant à l’Allemagne de refaire ses forces, tout en l’humiliant par la suite. L’attaque des forces allemandes par le sud, en Lorraine, préparée par Castelnau, aurait sûrement modifié la donne, et peut-être épargné une nouvelle guerre vingt ans plus tard. C’est la carte inversée que tenta de jouer Pétain en 1940, en conduisant les Allemands à stopper leur offensive à mi-parcours : une France solide dans sa tête n’aurait pas laissé le poison de la division partisane pourrir l’occasion de retourner la situation avec plusieurs fers au feu. Militairement, il n’y avait sans doute pas d’autres options ; politiquement, le vainqueur de Verdun n’avait pas la main. Vae victis.
Castelnau, lui, mourut en 1944 à l’âge de 91 ans, non sans avoir soutenu la Résistance. La Res publica s’honorerait à donner le bâton de maréchal à titre posthume à ce général catholique qui sauva la France en épargnant tant qu’il pût le sang de ses hommes.