LE PAPE FRANCOIS, citant le concile Vatican II, déclarait en avril 2014 que l’avortement est « un crime abominable ». Il ajoutait : « Il convient de rappeler la plus ferme opposition à toute atteinte directe à la vie, spécialement innocente et sans défense : le bébé dans le ventre maternel est l’innocent par excellence. » Enfin, à plusieurs occasions, il a vivement critiqué « la culture du déchet » si prégnante aujourd’hui.
Force est de constater que le pape François semble prêcher dans le vide, puisque nombre de catholiques abordent ce sujet à la manière du « monde » (Jn 17, 16) et ce jusque dans les colonnes de notre quotidien. Dans son éditorial du lundi 28 mai, La Croix revient sur le référendum irlandais de manière particulièrement injuste. Pourquoi injuste ? Parce que le respect inconditionnel dû à la vie innocente des enfants à naître est nié. Mais qu’ont fait ceux-ci pour qu’elle mérite d’être ainsi occultée ? Justement, ils n’ont rien fait. Ils n’ont rien demandé. Pas même d’être projetés dans l’existence. Ce ne sont que des êtres humains, comme chacun d’entre nous (Comment oublier que chacun d’entre nous a été un enfant à naître ?). Mais ils sont silencieux. Ils ne revendiquent rien. Ne manifestent pas. N’organisent pas de référendums « démocratiques ».
Le point de vue de La Croix est celui des souffrances vécues par les femmes que la future loi irlandaise légalisant l’avortement serait censée supprimer. Pourquoi le bien des mères passerait-il par la suppression de leur enfant ? Pourquoi taire que l’avortement loin de libérer la femme la ronge secrètement et durablement ? Fuit-on un mal par et pour un mal plus grand ? Le problème est que pour La Croix comme pour « le monde » l’avortement n’est qu’un moindre mal ; dont on peut dès lors se contenter tant qu’il reste dans une quantité limitée. En épousant la distinction rhétorique du « monde », entre avortement « de détresse » (à accepter) et avortement « à la carte » (à refuser), La Croix se donne bonne conscience en apparaissant comme modérée, renvoyant dos à dos les positions extrêmes des « pro » et des « anti-IVG ». Mais la dignité humaine n’est pas un domaine que l’on peut aborder dans une logique de compromis et de hiérarchisation des maux. Notre histoire récente nous l’a rappelé douloureusement.
Or cette illusion de croire que l’on peut négocier ce qui n’est pas négociable, ce vichysme mental, éclate dans l’argument central du texte : il est possible de catégoriser la vie humaine, comme si celle-ci avait des degrés. « On sait bien que la vie, affirme La Croix, n’est pas un phénomène physique, comme semblait le dire la Constitution irlandaise, qui mettait un signe strict d’égalité entre une vie déjà là, celle de la mère, et une vie en devenir. » D’où La Croix tire-t-elle ce savoir ? Certes pas de l’Évangile ni de l’enseignement constant de l’Eglise qui depuis son origine s’est opposée à l’esclavage, au racisme, à l’infanticide, bref à tout ce qui pourrait conduire certains à exclure de l’humanité commune d’autres êtres humains, évalués à l’aune de tel ou tel critère. N’en déplaise à notre journal « catholique », l’Église a toujours refusé de considérer qu’il y avait une inégalité entre les êtres humains quant à leur appartenance à l’humanité commune. Sans compter que la pauvreté de l’argument est manifeste : l’enfant à naître n’est-il pas lui aussi « déjà là » ? Et sa mère, les médecins et même les journalistes n’ont-ils pas, eux aussi, une « vie en devenir » ?
Souhaitons donc que La Croix accepte d’être cohérente en se laissant touchée par Celui qui est mort pour tous les hommes, reconnaissant par là leur égale dignité, quel que soit leur race, leur nation, leur sexe, leur niveau de vie et leur taille.
En savoir plus :
L’éditorial de La Croix : « L’IVG au-delà de la loi »
Merci de cette courageuse tribune. La cohérence de La Croix a consisté à se séparer immédiatement d’un collaborateur manifestement trop catholique pour être honnête aux yeux du « monde ». Ce n’est pas digne d’un journal qui se présente comme catholique.
Qu’appelez-vous « vichysme mental » ???
Pour mon père officier de l’armée de l’air, comme pour beaucoup d’officiers au moment de la défaite de 40, la question s’est posée d’une façon impérative de savoir s’il fallait aller rejoindre le Gal de Gaulle à Londres (mais, en quelque sorte, déserter) ou rejoindre le Maréchal Pétain à Vichy qui prenait la tête de l’Etat Français à son corps défendant. Il était trop âgé, mais personne ne voulait la place dans un pays vaincu et soumis à des vainqueurs très exigeants. Rester dans un pays vaincu et occupé, SON pays, ou aller essayer de poursuivre le combat depuis Londres. Là était la question…Mon père, suivant sa conscience, est resté en France et a été affecté à la Direction des Services de l’Armistice à Vichy. Sa longue lignée militaire et ses convictions lui imposaient l’obéissance et non la dissidence. Cet acte courageux (car il fallait du courage pour accepter d’être vaincu et en subir les conséquences) lui a coûté sa carrière très prometteuse. En effet, à la Libération le ministre de l’Air, Charles Tillon communiste, a « dégagé » tous les « traîtres » qui étaient à Vichy.
Mon père a été complètement réhabilité plus tard, par le Maréchal Juin, mais le mal était fait et sa carrière brisée. Un historien de renom, rencontré récemment et qui connaît bien l’Histoire, me disait que mon père était de la trempe des Généraux 5 étoiles. Il a souffert de ces accusations injustes et j’ai du mal à supporter qu’on fasse, encore à l’heure actuelle, l’amalgame : Vichy=Collabos, surtout si on n’a pas vécu à cette époque. Dieu reconnaîtra les siens et je ne doute pas une minute qu’il soit auprès – et même très près – de Lui, maintenant. C’est ma consolation.