« Notre Père » :
la prière dans la tentation

La nouvelle traduction du Notre Père, qui entre en vigueur ce premier dimanche de l’Avent, a donné lieu à beaucoup de commentaires sur la « soumission », mais fort peu sur la « tentation ». Qu’est-ce que la tentation ? Pourquoi Dieu l’a-t-il permise ? Méditation sur ce mystère de la condition humaine, avec Jorge Mario Bergoglio, le futur pape François.

LA TRADUCTION du nouveau Notre Père n’a pas raté son entrée. Entre les débats avertis et les polémiques incongrues, la prière enseignée par Jésus a pris un vrai coup de jeune. Il faudra tout de même s’habituer. À partir de ce premier dimanche de l’Avent (3 décembre 2017), nous ne dirons plus « Ne nous soumets pas à la tentation » mais « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».

La formulation adoptée en 1966 présentait une difficulté. Sans être une erreur d’un point de vue exégétique, la traduction de Mt 6, 13 et Lc 11, 4 « Ne nous soumets pas à la tentation » était ambiguë. Certains la jugeaient même blasphématoire. Au sens strict (et non au sens sémitique) il était permis de comprendre que Dieu nous oblige à subir la tentation, comme s’il pouvait nous assujettir au mal. Or Dieu ne peut être tenté ni de faire le mal, ni d’abuser de la faiblesse de quiconque pour l’entraîner au mal. « Dieu ne tente personne », dit saint Jacques (Jc 1, 13). D’ailleurs, « Dieu n’a [même] pas l’idée du mal » remarquait saint Thomas (Ia, 15, 3).

Qu’est-ce que la tentation ?

Si beaucoup a été dit sur la « soumission », peu de commentaires ont porté sur la « tentation ». Le mot demeure. Mais il est également équivoque. Selon le contexte, l’hébreu missàh ou le grec peirasmos peut signifier « épreuve ». Sous le même mot, on peut comprendre plusieurs réalités : la séduction du péché, la difficulté du libre choix entre le bien et le mal, la souffrance du doute.

Dès lors que Dieu ne tente personne, comment faut-il comprendre la tentation ? Pourquoi est-elle permise par Dieu ? Suivons la méditation de Jorge Mario Bergoglio, le futur pape François, dans l’une de ses prédications ignatiennes sur le mystère de la tentation (Esprit ouvert, Cœur croyant, Parole et Silence, 2014, p. 78).

Première caractéristique : la tentation est le lot de la condition humaine

« Le monde est le théâtre de la tentation », écrit Mgr Bergoglio. Dans l’épreuve de la tentation, Jésus accepte la totalité de la condition humaine. « Il est important de nous souvenir que nous ne sommes pas les premiers à être soumis à l’épreuve de la tentation. Nos pères connurent également ce test révélateur de l’intériorité de l’homme. Car la tentation, fondamentalement, révèle la réalité dissimulée derrière les apparences. Nous sommes vaniteux. Nous vouons un culte à l’apparence. La vérité se manifeste, “s’éprouve” dans la tentation “comme les vases du potier dans le four” (Si 27, 5) ».

Cette tentation, le peuple dont nous faisons partie l’a expérimentée au cours de son histoire.  Ainsi le peuple hébreu, durant quarante ans dans le désert (Dt, 8, 2). « La tentation du désert est forte, car non seulement elle dévoile la nature pécheresse des cœurs endurcis, mais aussi parce que la fidélité de Dieu y est révélée, sa promesse. » Le peuple fut tenté dans sa foi (Gn 22, 1), dans son amour (He 11, 6) et dans son espérance : « Comme le Seigneur éprouva [Abraham, Isaac, Jacob] pour scruter leur cœur, de même ce n’est pas une vengeance que Dieu tire de nous, mais c’est plutôt un avertissement dont le Seigneur frappe ceux qui le touchent de près » (Jdt 8, 25).

Deuxième caractéristique : la tentation est concrète

« Parfois, les tentations ne seront que susurrées, à peine audibles, parfois elles nous affronteront comme un défi. » « La tentation s’insinue à travers des paroles concrètes, même les gestes que nous accomplissons quand nous sommes tentés sont concrets. » D’où vient la tentation ? De nos failles. Mgr Bergoglio parle sans détour : « Le démon est intelligent. Il sait où frapper. » L’évêque jésuite cite saint Ignace, ancien soldat : « Il en est ainsi de l’ennemi de la nature humaine. Il assoit son camp, il considère les forces et la disposition de cette place, et il attaque du côté le plus faible. Il examine chacune de nos vertus théologales, cardinales et morales, et lorsqu’il a découvert en nous l’endroit le plus faible et le moins pourvu des armes du salut, c’est par là qu’il tâche de remporter sur nous une pleine victoire » (Exercices spirituels [ES], 327).

« Sa façon de tenter va de la vantardise (ES, 325) à la magie [la séduction sous toutes ses formes, Nda] pour laquelle il a besoin d’une atmosphère secrète (ES, 326), mais il est toujours perspicace. Il sait ce qu’il veut. Et s’il attaque quelque chose, c’est parce qu’il la considère comme dangereuse. Ainsi dit-on dans la tradition chrétienne que le lieu de la tentation est le lieu de la grâce. »

Pour le peuple — car la tentation peut « atteindre des dimensions communautaires » —, la première tentation consiste à se voiler la face : « Nous ne gagnons rien à afficher une certaine assurance, et en nous cachant à nous-mêmes le véritable visage de la tentation : de cette manière, il n’y aura pas de grâce. » Ensuite, « la tentation consistera toujours à choisir des choses claires, à prétendre que les récompenses sont des garanties visibles dans ses mains : “Mais vous, n’exigez pas des garanties envers les desseins du Seigneur notre Dieu. Car on ne met pas Dieu au pied du mur comme un homme, on ne lui fait pas des sommations comme à un fils d’homme. Dans l’attente patiente de notre salut, appelons-le plutôt à notre secours” (Jdt 8, 16). »

Troisième caractéristique : la tentation n’est pas un châtiment

La tentation est une épreuve qui nous purifie. Job, l’exemple de l’innocence, fut lui aussi tenté et ce ne fut pas à cause de son péché. « Dans la tentation, ses yeux seront purifiés par la vision : “Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu. Aussi je me rétracte et m’afflige sur la poussière et sur la cendre” (Jb 42, 5). »

Comment donc Jésus peut-il nous enseigner de prier Dieu pour nous éloigner de la tentation si celle-ci, en tant qu’elle est une épreuve qui purifie notre foi, nous rapproche de lui ? La réponse est dans l’ultime prière de Jésus lui-même, au cœur de son agonie (agonia en grec signifie combat) : « Maintenant mon âme est troublée. Et que dire ? Père sauve-moi de cette heure ! Mais c’est pour cela que je suis venu à cette heure » (Jn, 12, 27). Là sans doute est la plus haute prière de Jésus, quand il plonge dans la plus tragique faiblesse de l’humanité : Père, ne me laisse pas entrer dans l’ultime tentation, l’épreuve qui va jusqu’à troubler mon âme, mais je l’accepte, je la veux même pour sauver le monde en l’unissant à ta fidélité.

Quatrième caractéristique : jamais seuls dans la tentation

Fidélité, c’est le mot de la fin. « La substance de la tentation, conclut Mgr Bergoglio, réside dans le rapport fidélité-infidélité. Dieu notre Seigneur exige une fidélité qui se renouvelle à chaque épreuve.  Mais c’est là que le démon s’insinue, le séducteur. Satan cherche l’infidélité dans l’amour, entraînant le peuple à l’adultère (Ez 16) ; l’infidélité de l’espérance prétend obtenir des constatations et des garanties : l’idolâtrie, les murmures qui présupposent un refus de l’amour, de l’espérance et de l’accompagnement de Yahvé. »

Dieu, lui, ne nous abandonne jamais. « Marie était présente lors de la grande bataille, lors de l’épreuve de Jésus : sa Croix. Là, Il nous l’a laissée comme mère. Elle sait comment nous conseiller dans la tentation. »

Publié par Aleteia.

 

 

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