Corée : pourquoi la guerre est peu probable

La péninsule coréenne est au carrefour des luttes immuables entre les empires maritimes et les puissances continentales. Derrière les tensions actuelles, qu’il faut décrypter à la lumière de l’histoire, de discrètes forces centrifuges tendent à rapprocher les Corées et à les intégrer dans l’économie mondiale.

UNE OFFICINE britannique déclarait récemment que le risque de guerre était à prendre au sérieux en Corée. Cette annonce mérite quelques réflexions.

1- Le duel rhétorique entre Donald Trump et Kim-Jong-un profite aux deux présidents. Il permet aux États-Unis en pleine rétractation géopolitique de donner l’illusion de la puissance. Il permet d’autre part au président de la Corée du Nord de négocier en position plus avantageuse le prochain accord nucléaire.

La culture de la provocation

2- Les petites phrases de Kim-Jon-Un doivent être mises en perspective. Depuis les années 1850, les récits de voyage en Corée soulignent en effet l’importance de la culture du parler haut et de la provocation chez les Nord-Coréens. Le missionnaire catholique français Charles Dallet (1829-1878) écrivait : « En Corée en parle toujours sur un ton très élevé, et les réunions sont extraordinairement bruyantes. Crier le plus haut possible, c’est faire preuve de bonnes manières. » Or « ceux des deux provinces du Nord sont plus forts, plus sauvages, et plus violents que les autres Coréens ».

3- Véritable pont entre la Chine et le Japon, la Corée fut très tôt soumise à des forces extérieures antagonistes influant sur le destin des royaumes qui la constituaient. C’est ainsi que le royaume du Koguryo au nord, s’opposa à celui de Baekje au sud-ouest. Après avoir résisté pendant longtemps à la pression chinoise, le môle de résistance du nord fut transformé en une marche militaire de la Chine. Quatre commanderies militaires y furent installées dès le VIIe siècle. Cette contrée inaccessible, fut soumise aux attaques de l’Empire maritime japonais à la fin du XIXe siècle.

Au carrefour des puissances

4- La Corée se présente comme un théâtre ancien de la lutte entre empires maritimes et puissances continentales. En 1894 et 1895, la Chine continentale s’oppose à la puissance maritime japonaise. Quelques années plus tard, la Russie tsariste y est battue par le Japon. Aujourd’hui, la puissance navale américaine s’est substituée à celle de l’empire japonais. Même si les empires maritimes et continentaux se jaugent depuis des millénaires sur la péninsule coréenne, ils ne se font qu’exceptionnellement la guerre.

5- Malgré les tensions en cours, l’idée de complémentarité entre les deux Corées est présente depuis longtemps dans les médias des deux pays. L’expression traditionnelle namnam pungnyŏ, suggère par exemple que le couple coréen idéal est celui que forment un homme du Sud (namnam) et une femme du Nord (pungnyŏ).

La politique de la Chine

6- La Chine est aujourd’hui le seul pays du monde à entretenir des relations étroites avec les deux Corées dans le contexte d’une péninsule coréenne divisée. Globalement, la politique chinoise vis-à-vis de la péninsule comprend trois tendances : réduction des tensions concernant le dossier nucléaire nord-coréen, maintien des liens traditionnels et des relations économiques avec la Corée du Nord et coopération économique avec la Corée du Sud. Quant au programme nucléaire nord-coréen, il constitue un enjeu de sécurité majeur pour les autorités chinoises, non parce qu’il constitue une menace directe dirigée contre la Chine, mais par ses éventuelles conséquences sur une prolifération à l’échelle régionale.

7- L’évolution économique des deux Corées peut nous surprendre : ainsi, la Corée du Sud se rapproche actuellement de l’Iran, pays avec lequel elle entretient des relations économiques très suivies. À l’inverse, la Corée du Nord s’intègre depuis les années 2000 dans l’économie libérale mondialisée. Les négociations se font d’ailleurs de plus en plus en dollars ou en yuans.

Des tensions à nuancer

8- Notre imaginaire littéraire entretient une double image de la Corée qui se présente à la fois comme le Pays du matin calme et le Royaume des ermitages. C’est peut-être dans la mesure où la Corée représente un espace marginal dans notre conscience collective que nous avons du mal à nous extirper des discours simplificateurs à son égard. En réalité, le regard de la France en Extrême-Orient a longtemps porté ailleurs, vers une péninsule symétrique de la Corée mais située au sud : l’Indochine.

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La Chine n’a aucun intérêt à déstabiliser la péninsule coréenne, ce qui provoquerait des migrations très importantes sur son territoire. Les États-Unis sont encore trop empêtrés au Moyen-Orient pour concentrer l’intégralité de leurs forces dans le Pacifique. Qui plus est, leurs problèmes intérieurs sont actuellement prioritaires. Quant au Japon, il n’a aucun intérêt à ce que la péninsule coréenne se réunifie car un géant émergerait à moyen terme à ses côtés. Pour ces raisons variées, la montée en cours des tensions doit être nuancée.

 

Thomas Flichy de La Neuville

Auteur : Thomas Flichy de La Neuville

Professeur à l'Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.

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