Saint Paul contre les identitaires ?

L’épître du jour (Philippiens 3, 3-8) m’inspire cette réflexion sur l’identité, sujet à la mode de chez nous.

ON CONNAIT le fameux « Il n’y aura plus ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre… » (Gal, 3-28) sur lequel on commet beaucoup de contresens, considérant l’unité dans le Christ comme un mythe politique quand il s’agit d’une réalité spirituelle. Paul dit un peu la même chose aux Philippiens, sous une autre forme. « J’aurais des raisons de placer ma confiance dans la chair » écrit-il donc (Ph 3, 3). Ici, pour l’apôtre, la chair, ce n’est pas le désir charnel, c’est l’identité visible, reçue et vécue comme un privilège. Ce qui à la fois vous marque, vous oriente, vous rassure, vous détermine.

Plus identitaire que lui, tu meurs : « Si un autre pense avoir des raisons de le faire, moi, j’en ai bien davantage », dit-il. Écoutez : « Circoncis à huit jours, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu, fils d’Hébreux ; pour l’observance de la loi de Moïse, j’étais pharisien ; pour ce qui est du zèle, j’étais persécuteur de l’Église ; pour la justice que donne la Loi, j’étais devenu irréprochable. »

Une morale exemplaire

Difficile en effet d’être plus identitaire. Un Hébreu, fils d’Hébreux, collabo justicier des hérétiques, ces traîtres à la religion des pères, et d’une morale personnelle exemplaire : un croyant pratiquant publiquement, faisant l’aumône très publiquement, chaste (publiquement au moins), payant ses impôts, respectueux de l’autorité officielle.

Mais, il y a un mais. « Tous ces avantages que j’avais, poursuit l’apôtre, je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte. » Bref, l’héritage de son identité et l’affichage de sa perfection, Paul les a abandonnés.

Pourtant, il ne les condamne pas. Il les « perd ».

En elles-mêmes, l’identité et la perfection morale ne sont pas critiquables : ce sont des « avantages », dit Paul. On suppose évidemment que la persécution des chrétiens, Paul ne lui reconnaît aucune justification, mais dans une certaine mesure c’était un acte d’obéissance, au service de la pureté de la religion d’État, de l’ordre public et de la paix civile. Elle procurait des « avantages », et pas seulement personnels.

Ce que veut dire Paul, c’est que l’identité, la perfection morale et le service du bien commun ne prennent leur sens que dans leur abandon dans le Christ, « à cause du Christ ». « Je considère tout cela, explique-t-il, comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. »

L’identité à la lumière de l’universel

Interprétation personnelle : l’identité et la morale pour elles-mêmes sont des formalismes sécuritaires aveuglants qui vous enferment sur vous-mêmes, contraignent votre liberté intérieure (le conformisme, le jugement des autres), et finissent par vous conduire à condamner sans cesse ceux qui ne sont pas comme vous, qui ne pensent pas comme vous.

Mais l’identité et la loi morale reçues dans la « connaissance du Christ », autrement dit dans l’intelligence universelle du Créateur miséricordieux et de Celui qui sauve, libèrent l’homme et l’ouvrent à l’universel.

L’erreur serait de considérer l’identité et la justice comme de purs formalismes dangereux. Ils ne le sont pas en eux-mêmes, mais peuvent le devenir sans l’intelligence d’un ordre supérieur, celui du don de soi dans la charité et du bien commun qui fait grandir l’ensemble de la communauté.

 

Paru sur Cahiers libres

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