CE N’EST PAS LA PREMIERE FOIS qu’un pape provoque un tollé dans un avion. En parlant de la violence des catholiques à propos du terrorisme islamique, le pape François de retour de Pologne n’a pas fait dans la dentelle. Benoît XVI en route vers l’Afrique n’avait pas fait moins, en doutant des effets positifs du préservatif. Le monde entier avait crié au scandale. Ce qui est nouveau avec le pape François, c’est que de nombreux chrétiens ont joint leurs voix au concert des indignés.
Penser le pape tel qu’il est
Dans un contexte de guerre — c’est le pape qui le dit — et juste après une série d’attentats terroristes et l’assassinat odieux d’un prêtre sur son autel, les nerfs sont à vif, et il est difficile de prendre de la distance.
On peut déplorer les propos abrupts du pape, leur trouver de la « confusion », un impact négatif. Mais si les catholiques ne font pas l’effort de comprendre et relayer sa démarche dans son intention profonde, qui le fera ?
Ce pape a son style, sa méthode et il dérange. Ce qu’a dit Rémi Brague de l’islam — ne pas penser cette religion sur le modèle du christianisme — peut s’appliquer à François : ne pas le penser sur le modèle des autres papes. Ses prédécesseurs étaient des universitaires, pas lui. Il n’en est pas moins pape, chef de l’Église catholique élu par les cardinaux pour être lui-même, et non le clone d’un autre. Pour le comprendre, dût-on réfléchir, il faut l’entendre en catholique, c’est-à-dire à la lumière de la tradition et de l’enseignement de ses prédécesseurs. Par exemple Jean-Paul II à Casablanca (1985), Benoît XVI à Ratisbonne (2006). C’est une question de pure hygiène intellectuelle et spirituelle.
Ensuite, il faut recevoir ses paroles comme pape, avec ses grâces d’état de pape, et non comme un chef politique ou un chef militaire. Et si un doute survient, s’appliquer à saisir ses paroles selon leur degré d’autorité, en lien avec ce qu’il a dit lui-même de la question en totalité, préférer se taire plutôt que de le critiquer publiquement, et toujours s’interroger sur ce qui est pertinent dans ses commentaires publics pour l’Église et pour le monde.
Qu’a voulu dire le pape François ?
Interrogé sur les attentats commis au nom de l’islam, le pape François a donné deux réponses qui ont choqué : 1/ l’islam ne peut être identifié au terrorisme ; 2/ la violence est partout, y compris chez les catholiques. On a compris : le gendre catholique qui tue sa belle-mère par ressentiment est aussi salaud que l’assassin du père Hamel au nom de l’islam. Autrement dit, le terrorisme islamiste est relatif. Le mal moral du chrétien qui trahit l’Évangile est de même nature que le crime de celui qui tue au nom de la religion.
Le pape n’a pas dit cela. L’universitaire Jean-Marie Salamito a fait remarquer qu’on avait mal traduit les propos du pape : violenza islamica ne signifie pas en italien violence islamique, mais violence des musulmans. Le pape ne fait donc pas un parallèle entre une violence qui serait issue d’une religion avec la violence issue d’une autre religion ; il rapproche simplement la violence des hommes, certains se recommandant certes d’une religion, et d’autres non, mais pour signifier que la violence est d’abord dans le cœur de tous les hommes. Son message principal est constant : ce n’est pas la religion qui tue. Et invoquer telle religion comme cause de la violence va contribuer à entretenir le mal, à jeter la suspicion sur une cause du mal qui va se retourner contre tout le monde (et donc au passage contre les chrétiens), et surtout à exacerber les tensions, notamment chez ceux-là mêmes qu’il s’agit d’apaiser.
La racine du mal
Il faut donc faire deux lectures des propos du pape.
1/ Une lecture mystique du mal dans le monde. Le mal est partout, d’abord chez moi et en moi. D’où ces mots très durs : « Le terrorisme, c’est l’argent. » La cause principale de la violence et de la guerre dans le monde est dans l’avidité de l’homme blessé par le péché.
2/ Une lecture pratique : nous sommes en guerre contre un mal moral avant tout, y compris contre le terrorisme. Le pape parle en éclaireur des consciences, pas en stratège militaire, mais ce faisant, il attaque le mal à la racine. Le terrorisme est défini comme l’expression d’une forme de désespoir. En quoi notre société provoque-t-elle du désespoir ? C’est la question qu’il faut se poser. De même que l’avortement est le principal obstacle à la paix (Mère Teresa), de même l’argent — et par analogie toutes les concupiscences : le pouvoir, le plaisir égoïste — est la cause principale de la guerre et de la violence. Chez nous, les salauds manipulés par les agents de l’État islamique sont aussi victimes d’une France matérialiste qui n’a pas su se faire aimer d’eux.
Ensuite, identifier l’ennemi au terrorisme l’enferme définitivement dans un processus dont il faut à tout prix le sortir. Daech n’est pas l’islam. Si l’on veut faire de tous les musulmans des terroristes, disons que l’islam est terroriste. On sera bien avancé.
« Il est faux d’opposer l’Occident et l’islam » (Benoît XVI)
J’ai lu que cette approche était suicidaire : en ne voulant pas la guerre aux dépens de la vérité, on a le déshonneur et la guerre. Mais le pape n’a jamais dit que les États ne devaient pas se défendre, ni ne pas désigner l’ennemi. Il a même dit exactement le contraire, de manière plus précise d’ailleurs que ses prédécesseurs. Comme chef religieux, il veut la paix dans les cœurs. Comme chef de l’Église, il sait que dans l’ordre divin, un chrétien qui fait le mal blesse davantage la paix qu’un islamiste fou furieux. Il sait que le mystère du mal touche toute l’humanité. Le nazisme et le communisme sont nés dans des sociétés chrétiennes : pourquoi ? Cela ne veut pas dire que l’Église en était responsable, elle en a été même l’une des victimes principales. Les massacres du Rwanda ont frappé l’un des pays les plus chrétiens d’Afrique : pourquoi ?
Cela signifie-t-il qu’il ne faille pas dire la vérité sur l’islam ? Non, assurément. L’Église et les papes ont dit beaucoup à ce sujet. Le discours de Ratisbonne, auquel beaucoup se réfèrent, a été particulièrement subtil. Mais ce que Benoît XVI a dit devant les universitaires allemands était moins une critique de l’islam qu’une autocritique de la raison occidentale en général, et chrétienne en particulier. La condition du dialogue entre les cultures et les religions, c’est le retour à la raison. Pas à l’émotion, ni au simplisme, a fortiori en se défoulant à bon compte contre un bouc émissaire au nom du bien contre le mal.
Dans un discours précédent, à l’occasion du soixantième anniversaire du débarquement allié en Normandie, Joseph Ratzinger avait exposé les conditions de la paix dans un monde troublé par la collusion entre l’Occident et l’islam : « L’un et l’autre sont des mondes polymorphes […] en interaction mutuelle. Dans cette mesure, il est faux d’opposer globalement l’Occident et l’islam. » On ne répond pas à la pathologie de la religion par la pathologie de la raison, toutes deux également partagées.
C’est exactement ce que dit le pape François : la violence de l’islam — ou des musulmans — est moins le sujet que la violence en tant que pathologie de la religion qui oublie la raison, et de la violence en tant que pathologie de la raison qui oublie la religion, ce dont la société chrétienne n’est pas indemne.
L’antiterrorisme chrétien s’attaque aux causes du mal. Il laisse à l’État ses responsabilités. Les salauds doivent être neutralisés et condamnés. Désignés, et recherchés. Mais la raison commande de soigner le mal à la racine, et d’éviter qu’il se reproduise. L’honneur des catholiques est d’apporter leur pierre (leur Pierre !) à cette tâche, c’est leur mission particulière, y compris politique : aider les États à aller plus loin que la simple gestion des conflits en affrontant leurs sources morales et culturelles.
Agir en prudence
Un dernier argument doit être retenu : celui de l’opportunité. Le pape sait ce qu’il dit et ce qu’il fait. Il serait assurément surprenant si l’Église n’avait pas de discours de synthèse sur l’islam et sa réalité, aussi bien religieuse que sociologique et politique. Mais les circonstances plaident pour une expression adaptée au contexte de guerre qui est le nôtre, avec une résistance en sifflet. Autrement dit, plusieurs fers au feu.
Certains exemples récents ont été rappelés, par exemple par le père Christian Vénard ou par l’historien Christophe Dickès. On a reproché au pape Pie XII son silence pendant la guerre, un silence voulu et assumé par prudence : cela ne voulait pas dire que l’Église n’avait rien à dire sur le nazisme ni à encourager contre lui. Il y eut même une encyclique. Qu’on sache, il y eut des chrétiens résistants publiquement à Hitler, et qui jamais n’ont été condamnés par Rome. Symétriquement, on n’a jamais entendu Mgr von Galen, le cardinal Saliège ou sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix (Édith Stein) critiquer Pie XII.
Il en fut de même avec l’Ostpolitik : l’appareillage doctrinal de condamnation du communisme fut on ne peut plus complet, l’Église militante a résisté. Pourtant, la diplomatie vaticane du cardinal Casaroli a manifestement tout fait pour calmer le jeu, aux dépens apparents des intérêts de la vérité. Cela ne veut pas dire non plus qu’il n’y eut pas régulièrement de sévères explications de gravure entre Rome et les Églises locales, mais ce fut discrètement. A-t-on entendu le cardinal Wojtyla tonner contre Paul VI ? Oui, de nombreux catholiques d’Europe de l’Est se sont souvent sentis abandonnés, oui on eût pu faire mieux. C’est toute l’humanité de l’Église dans ses tensions qui s’exprime ainsi, et qui n’échappera jamais à ses limites sur la terre.
Accepter ces faiblesses, c’est accepter aussi la puissance de l’Église où l’on n’est jamais seul et où chacun a sa part de responsabilité, selon sa vocation : dans l’unité de l’espérance qui ne se trompe jamais mais qui n’est pas pressée, celui qui doit se taire compte sur celui qui dit la vérité ; celui qui parle n’oublie pas celui qui ne peut pas parler. Comprenne qui pourra : l’Église n’est ni une démocratie, ni une force militaire, ni une ONG. Mais elle a vaincu le monde.
Publié par Aleteia
Décidément il faut décrypter dur avec ce pape. On avait en gros compris mais un sophisme reste un sophisme et je persiste à en voir un dans cette comparaison indue entre un (des) catholique(s) qui tue sa femme et les exactions inspirées par un islamisme, dérivé de l’Islam, qui fascinent des jeunes en quête de repère. Un catholique qui tue sa femme ne fascine personne. D’où sa malheureuse expression aussi sur les racines chrétiennes, certes à ne pas brandir avec arrogance, mais qui n’ont rien à voir avec ce qu’on appelle le sentiment de supériorité colonial ni le cas de l’Argentine !
Quant à l’opportunité, personne ne reproche au pape de ne pas mettre l’huile sur le feu ou de refuser de contribuer à l’escalade, mais sa maladresse réelle, à mon avis, met justement de l’huile sur le feu, exaspérant des catholiques, pris à contrepied, et en évitant aux Musulmans une saine remise en cause, que les plus lucides d’entre eux commencent. Si ce n’est pas à lui de mettre les pieds dans le plat, qu’il fasse attention aussi aux catholiques. Il n’est pas leur directeur de conscience mais celui qui conduit la barque. On veut bien admettre les prudences, le reste met en désarroi. Je pense qu’il ne faut pas défendre le pape sur ses maladresses politiques où après tout il n’est pas infaillible.
Je crois avoir répondu à ces objections… ou tenté d’y répondre ! L’autorité du pape ne peut pas être confondue avec celle d’un chef de parti ou d’un chef de guerre. Son message n’est pas obscur s’il est éclairé par l’enseignement de toute l’Eglise.
Bien sûr, il faut essayer de comprendre l’approche du pape. Cependant le rapprochement avec Pie XII ne fonctionne pas car Pie XII était très clairement anti-nazi alors que l’islam est toujours considéré comme une religion à part entière (cf. Nostra Aetate) et ceci a été confirmé dans Evangelii Gaudium (religion de paix). Comment dans ces conditions attirer les musulmans vers l’Eglise ? De plus dans le cas de Pie XII, il a été suffisamment souligné que la société de 1940 était bien moins médiatique qu’aujourd’hui. Il nous faut donc une parole claire sur l’islam, qui a la caractéristique d’être une machine à éloigner du Dieu incarné, mort et ressuscité pour nous.
Croyez-vous vraiment que l’Eglise ne propose pas de parole claire sur l’islam ?
Quelques prêtres francs tireurs le font (abbé Loiseau, père Fautrad, père Jourdan…)
Mais sur le plan médiatique (cf le journal La Croix très relativiste) et des évêques je ne vois pas grand chose: on est à 100% dans la charité (ce qui est bien en soi) et très peu dans la vérité (là cela pose question)
Cependant, si vous avez des contre-exemples je suis très intéressé.
Depuis saint Thomas (notamment…), les plumes chrétiennes n’ont pas manqué pour s’exprimer sur l’islam. Benoît XVI (J. Ratzinger) disait que le dialogue avec l’islam ne pouvait pas être théologique, et qu’il devait relever de la seule solidarité. Le cardinal Tauran, chargé des relations avec l’islam, est un diplomate : c’est significatif. Il dit que l’islam se pense comme une « conquête », d’où la difficulté des… discussions. Mais l’alternative demeure : le dialogue ou la guerre. On peut dialoguer sans complaisance.
Merci mais avouez que c’est un peu léger de devoir en appeler à st Thomas alors que le sujet est éminemment médiatique aujourd’hui
Je ne demande pas un dialogue théologique (tout est clair et déjà dit en effet) mais simplement une autre communication pour sensibiliser les chrétiens sur leurs propres trésors et attirer les musulmans qui sont aujourd’hui dans une impasse
On ne leur rend pas service en étant trop « gentil » avec l’islam
Ce n’est pas en critiquant d’emblée les propos du pape que les chrétiens comprendront son message. Il faut les recevoir comme celles d’un prophète inspiré par l’Esprit Saint. Nous ne pouvons pas forcément intégrer tout de suite les finesses de ses paroles, il faut les laisser mûrir en nous comme les disciples d’Emmaus écoutant le Christ sur le chemin. Confiance, et que ceux qui ont des oreilles entendent.
L’islam contient autant de propos violents que la religion chrétienne mais ce qui fait toute la différence c’est la capacité d’adaptation du message évangélique portée par les différents papes et la relecture permanente critique; dans le cas de l’islam, il n’y a aucune autorité capable de définir le message du Coran si bien que chacun y trouve ce qu’il y cherche en « picorant » telle ou telle sourate. Tout a été donné par Allah à Mahomet et rien n’est modifiable; tout est donc à prendre au pied de la lettre et la lecture interprétative qu’en fait l’un a autant de valeur que celle faite par un autre.