Le doute Sarkozy

A propos de Samuel Pruvot, Le Mystère Sarkozy, Le Rocher, avril 2016.

Sarkozy-PruvotPrivilège assurément, le pape François a accepté de recevoir Nicolas Sarkozy, le chef de l’opposition en France, ce qui protocolairement n’allait pas de soi. Comment l’expliquer ? Le livre de Samuel Pruvot donne quelques clés.

Après mai 68, la droite française a lentement dérivé dans un anticléricalisme de plus en plus sommaire. On se souvient de l’héritier de la démocratie chrétienne, François Bayrou, s’indigner que les drapeaux de la République fussent mis en berne à la mort du pape Jean Paul II. En apparence, la vision étroite de la laïcité avait gagné. Il aura fallu Nicolas Sarkozy pour rompre avec le complexe anticatholique. Conversion insincère, ont dit les sceptiques : pour eux, sa stratégie de rupture avec le laïcisme chiraquien était pur calcul. Pourtant, son livre d’entretien avec le dominicain Philippe Verdin et le philosophe Thibaud Collin : « La République, les Religions, l’Espérance » (Cerf, 2004), révélait une réflexion approfondie sur la place de la religion dans la société, et du catholicisme en particulier. Une réflexion pas seulement théorique, mais aussi un engagement qui témoignait d’une histoire personnelle à laquelle l’homme public ne mentait pas. On connait la suite, l’élection de 2007, le discours du Latran, une volonté assumée de tourner la page de mai 68, mais une ligne politique confuse que le choix de Frédéric Mitterrand comme ministre de la Culture résume assez bien.

Avec l’échec de sa réélection en 2012, Nicolas Sarkozy a pu mesurer l’effet de ses incohérences : la tentation du rassemblement par le consensus a causé sa perte. Curieusement, sa stratégie de reconquête reste aussi peu lisible. L’homme paraît toujours tiraillé entre plusieurs options. Comment un homme d’expérience, endurci par les épreuves, capable de faire front devant la terre entière, peut-il se laisser dominer par le doute ? C’est bien le mystère auquel s’est attelé Samuel Pruvot.

Enfant de la rupture

De l’actuel chef de l’État, son successeur (« François Hollande, Dieu et la République », Salvator), le journaliste dressait le portrait d’un homme de son temps, postmoderne, ambitieux, faible, cynique, prenant ses décisions par pure ingestion des rapports de force. Avec Nicolas Sarkozy, il creuse la même question, centrale : quelle est sa relation intime à Dieu ? L’appétit religieux de l’homme de pouvoir n’est jamais neutre. Ou il se fait Dieu lui-même, ou il se sait dépendant, et donc capable de cultiver un certain sens des limites. Décrypter son sens spirituel permet de saisir au mieux sa vérité. À qui, au fond, rend-il des comptes ?

L’enquête de Samuel Pruvot est fouillée. Il a rencontré près d’une cinquantaine de proches de l’ancien président, de Cécilia Attias à Henri Guaino. En ressort une lecture nuancée du personnage, loin des caricatures faciles dans lesquelles ses aspérités l’enferment volontiers.

Difficile cependant de percer ce mystère Sarkozy. L’auteur s’attarde longuement sur son enfance déchirée, et ses mariages successifs : il n’est pas bon que l’homme soit seul, et Nicolas Sarkozy ne sait pas vivre sans l’amour d’une femme, un lien dont il a besoin, et qui le sécurise.

Écorché vif, perpétuel insatisfait, il ne se réalise que dans l’énergie et le mouvement : « Un homme pressé, cocktail détonnant de bonapartisme et de tragédie personnelle » écrit Pruvot. Lucide sur ses failles, il veut faire une force de ses faiblesses, « changer le cours de l’histoire est pour lui un leitmotiv ». Enfant de la rupture, « il revendique celle-ci comme d’autres la continuité », mais à force de rompre, il finit par casser ce qu’il entreprend : « Nicolas Sarkozy avoue cette fâcheuse tendance à détruire ce qu’il a mis du temps à construire. »

Du côté catholique, l’acte manqué est flagrant. Cet hyperactif à la mémoire prodigieuse, qui ne fait jamais rien à moitié, est fasciné par les hommes d’Église qui donnent leur vie à Dieu. Son amitié pour les prêtres qu’il a rencontrés n’est pas feinte. Il ne comprend pas qu’on puisse être alternativement citoyen et fidèle, et que la conscience du citoyen subisse la séparation entre l’Église et l’État. Cet homme au sang mêlé sait la puissance de l’enracinement d’un peuple. Mais son bonapartisme indispose, inspire la méfiance. Comme tous les activistes, il reste en surface. Il n’a pas assumé son discours du Latran, changeant de pied sur l’euthanasie et sur la loi Taubira.

Le chaud et le froid

Comment peut-on écrire droit avec ces lignes courbes, se demande l’auteur devant le l’énigme de cet homme-là ? Après avoir campé le rôle du champion de la révolution conservatrice tournant la page de mai 68, le nouveau patron des Républicains sème à nouveau le trouble sur son attachement aux « valeurs » qui avaient fait le succès de 2007. « Avec les valeurs, écrit Pruvot, le malentendu n’est jamais loin. Peut-être l’ambiguïté est elle-même dans l’étymologie du mot : une valeur, ça monte et ça descend. » Du coup, chacun voit dans son camp midi à sa porte, et Sarkozy souffle le chaud et le froid, sans qu’on sache de quel côté il va pencher. « Je fuis le consensus et la pensée banale » dit-il à son biographe. Inquiet, il fuit surtout les engagements qui pourraient le priver de sa liberté de manœuvre. Il croit cependant dans la prière, « consubstantielle à l’homme conscient de son destin », mais si Dieu existe, il est dans le doute, le « doute civilisateur » qui prend également le nom du pardon. Une conviction qui épaissit le mystère… d’un désir religieux réel, vérifié dans l’expérience, mais désarticulé.

Le grand intérêt du livre de Samuel Pruvot, qui nous apprend beaucoup sur l’homme Sarkozy, est de montrer que la politique n’est pas d’abord une bataille de concepts, ni que les rapports de force sont des luttes entre des machines de guerre sans foi ni loi. Elle est d’abord affaire d’hommes, avec leurs talents, leur histoire et leurs faiblesses. Rome le sait plus que d’autres. Qu’on le veuille ou non, la vie d’une communauté politique ne dépend pas premièrement de ses élus, mais elle a les élus qu’elle mérite. Quand vient l’heure du choix, le citoyen responsable ne coche pas des cases, il choisit d’abord des hommes.

Le Mystère Sarkozy, par Samuel Pruvot
Le Rocher, 2016, 180 p., 17 €

 

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