Ils sont 130 médecins déclarant avoir pratiqué l’assistance médicalisée à la procréation en ne respectant pas la loi (Le Monde du 17 mars). Ils demandent la levée des interdits, totaux ou partiels, de la loi française : sur le don d’ovocytes, sur l’analyse des chromosomes avant implantation de l’embryon pour parer aux risques éventuels d’anomalies, sur la conservation des ovocytes pour une fécondation éventuelle à venir, sur le don de sperme pour une femme célibataire quel que soit son mode relationnel, hétéro ou homosexuel…
Bien en vue dans cet appel, au cœur des signataires, à la lettre F, figure le professeur Frydman, qui réclame un alignement de notre pays sur tous ceux qui ont déjà ouvert plus grandes les vannes à la technique dans la pratique de l’aide médicale à la procréation. Au rebours du principe de précaution et du respect de la dignité des plus petits : les êtres humains au stade embryonnaire. Car nous n’avons encore qu’une faible visibilité sur la pratique de la PMA en général et de toutes les atteintes aux cellules germinales et à l’embryon, lorsqu’ils sont ponctionnés, manipulés, analysés, isolés de leur milieu naturel, puis transférés et réimplantés dans leur milieu d’élection par excellence. Ou détruits.
« Si la nature était si bonne »
À la question d’un journaliste (BFM) qui lui demandait ce qu’il pensait de l’avis de certains : « On joue trop avec les lois de la nature », le professeur répondit : « La médecine a toujours joué avec les lois de la nature parce que si la nature était si bonne, il n’y aurait pas besoin de la médecine. » Ce mot, apparemment bien frappé, mérite-t-il de rester dans un dictionnaire de citations ? Une fois encore, la nature semble une sorte de matériau disponible, au pouvoir de l’homme qui en corrigerait les imperfections et l’adapterait à tous ses désirs. Qu’en est-il ?
La médecine ne corrige pas la nature mais les défauts qu’elle laisse passer et dont l’origine, en partie, est mystérieuse. En partie seulement, car ces défauts ont parfois pour origine les défauts de l’homme lui-même dans sa gestion imparfaite de la nature, à cause d’une connaissance encore imparfaite elle aussi. Une mauvaise hygiène de vie, une nutrition déséquilibrée, un habitat défectueux, des excès de toutes sortes dans le travail, les loisirs, les voyages, les comportements à risque, etc. Les parents boivent, les enfants trinquent ! La liste serait longue des erreurs humaines dont la médecine doit soigner les conséquences. Elle doit même parfois soigner les effets pervers de sa propre action : soins inappropriés voire aventureux, médicaments mal dosés ou aux effets méconnus, régimes hasardeux… Quelles maladies prépare-on aux générations qui nous suivent ?
Redécouvrir les lois de la nature
Peuvent apparaître il est vrai, comme venant de la nature elle-même, des désordres aux causes cachées et involontaires : virus, nouvelles maladies, catastrophes. L’avancée des sciences et de l’expérience en diminue la portée ; l’homme apprend alors à les comprendre, puis à tenter de les maîtriser. Mais ces réalités ne sont jamais qu’in minori parte dans la nature, disent les philosophes, dans un petit nombre de cas ; fruit aussi du hasard qui cohabite si bien avec elle. Car la nature, dans la plupart des cas, réussit et atteint sa fin. Elle est alors là pour nous montrer ce qui est droit, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle a ses lois. Aussi la médecine n’a jamais aidé l’homme en contrariant sa nature. On ne corrige pas les « erreurs » dans la nature en luttant contre les lois de la nature. Car il y a plus dans la nature que dans notre science et nos pouvoirs imparfaits. Sachons reconnaître nos limites mais ne faisons pas son procès !
Sans compter qu’à côté des lois de la nature que les sciences naturelles dégagent, il existe une autre sorte de loi naturelle : c’est la loi morale de notre agir, que notre conscience découvre et que l’éthique véritable prend comme principe de son savoir et comme règle de nos pratiques. En médecine, elle s’énonce : d’abord ne pas nuire, primum non nocere ! C’est cette loi qui nous oblige à soigner selon le respect de la dignité de l’homme, qu’il soit malade, vieillard, infirme, handicapé, en état pauci-relationnel, ou encore en développement comme ce petit homme, cette petite femme, au stade embryonnaire doué d’un formidable potentiel, et que nous avons tous commencé d’être, au seuil de notre existence. Là non plus on ne saurait jouer avec les lois de la nature, sans la contrarier gravement. Là encore on ne commande à la nature qu’en lui obéissant.
Quelques médecins ne respectent pas la loi civile, ça n’est pas nouveau. Respectent-ils la loi morale, la déontologie de leur profession ? Ils devraient s’interroger. Pour nous, nous changeons volontiers la phrase du Pr Frydman rapportée plus haut pour celle-ci : si la médecine ne veut pas jouer avec l’homme et rester bonne elle aura toujours besoin des lois de la nature !
A paraître dans le feuilleton bioéthique de la revue Liberté politique n° 70, été 2016.
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