Comment s’opposer ?

Comment résister à un pouvoir inique ? L’expérience chrétienne.

À mesure que le gouvernement s’enfonce dans sa manipulation de l’opinion pour diviser les Français, de nombreuses questions se posent sur la pertinence des réponses politiques à lui apporter. Les partis occupent leur place sur le terrain électoral, mais la société civile entend se faire entendre elle-même. Sans tomber dans le piège de l’instrumentalisation.

LA FUITE EN AVANT LIBERTAIRE du gouvernement est désormais acquise : élargissement du champ de l’IVG, ouverture au suicide assisté, dépénalisation de la drogue, contrôle de l’école entièrement libre, recherche sur l’embryon et ouverture de la PMA, homoparentalité, contrôle de la liberté d’expression et de conscience… Le mouvement a deux objectifs : 1/ déconstruire les piliers fondateurs de la société, 2/ diviser l’opposition.

Le premier objectif est poussé par les ministres les plus idéologues. Peillon, Taubira, Vallaud-Belkacem, Touraine… bâtissent un modèle de société libérale-socialiste qui veut effacer toute réalité sociale entre l’État et l’individu. Pour eux, la famille, l’école privée, le monde associatif libre (non subventionné) et même les petites communes ou encore les institutions religieuses, sont des obstacles à la toute puissance de la loi.

Pour d’autres, les purs cyniques (Valls, Hollande) l’orientation est surtout tactique. La marge de manœuvre économique du gouvernement étant réduite à néant, après avoir donné le change pendant dix-huit mois, il faut donner du grain à moudre à ses troupes en montrant que la majorité est toujours de gauche.

Diviser pour régner

L’intérêt est double. D’abord, semer la confusion à droite, en piégeant les convictions molles, toujours tétanisées par le pseudo-sens de l’histoire du gauchisme culturel. Le coup n’a pas raté avec la relance du débat sur l’euthanasie et la consécration du droit à l’avortement : la majorité des parlementaires de l’UMP s’est vautrée dans le soutien au gouvernement, alors qu’il suffisait de s’en tenir à l’application de la loi Veil (quoi qu’on en pense).

L’autre objectif n’est pas secondaire : provoquer les minorités militantes opposées, pour désigner à la vindicte du peuple de gauche et de la puissance médiatique alliée, le camp des réactionnaires « abjects » (qualificatif attribué au Parlement au député Jacques Bompard décrivant la réalité de l’IVG). C’est le travail de Manuel Valls : diaboliser l’ennemi, l’amalgamer avec les bouffons et les cinglés, le harceler en multipliant les chiffons rouges pour le pousser à la faute.

Tout récemment, lors d’une rencontre sur la laïcité, organisée mercredi 22 janvier par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, le ministre s’en est expliqué très clairement : sa mission est de « combattre » avec « la même vigueur » les intégristes catholiques et les revendications religieuses dans les banlieues. « Il y a danger » dit-il, et la « première menace » vient, selon lui, « des intégristes de l’ultradroite catholique, rejoints par une partie de la droite » lors des débats sur l’avortement ou sur le mariage homosexuel. Heureusement les socialistes ont « réagi » sans hésiter pour les stopper (cf. Le Monde, 23/01/2014). Bref, la peste brune est dans la rue, mais les CRS protègent les habitants…

Ce mode de gouvernement, au cynisme idéologique total, ne peut souffrir aucune complaisance. Oui, il est légitime d’éprouver de la colère devant une telle amoralité. Oui, il est légitime de prendre la parole quand on veut vous empêcher de dire ou d’enseigner la vérité (ce fut l’objet de l’amendement sur l’extension du délit d’entrave à l’IVG).

Mais en pareil cas, la première exigence est de ne pas céder à la provocation :

♦ On ne résiste pas aux sables mouvants de la corruption de la loi par le silence.
♦ On y résiste encore moins dans l’activisme purement réactif. Ce serait le plus sûr moyen de s’enfoncer.

L’expression publique de la résistance

Comment donc dire non à la nouvelle oppression d’État qui se renforce subtilement ? 

La première résistance, on l’a dit, est organique : la société civile doit résister par elle-même, dans ses œuvres, même les plus modestes, au service du bien. La résistance politique, au sens de la lutte non-partisane contre les décisions du pouvoir, doit progresser en se fixant des objectifs précis et proportionnés. C’est la force de La Manif pour tous, par exemple, de rassembler sans se laisser déborder, sur un principe fondateur simple et central (le mariage), même s’il se décline logiquement sur différents thèmes subsidiaires : la famille, l’adoption, la PMA, la GPA…

De multiples autres manières d’agir sont possibles, mais toujours dans la vérité, sans haine et avec sang-froid.

Certains veulent s’investir sur le mode prophétique de l’indignation générale : parler envers et contre tout peut éclairer les consciences, surtout quand la liberté de parole devient a priori suspecte. Les indignés doivent se souvenir qu’on ne renverse pas une révolution sur son terrain : l’exemple de Solidarnosc montre que les forces d’un peuple opprimé ne s’unissent pas sur le ressentiment ou sur le sacrifice romantique, mais sur une vision éthique cohérente et partagée de l’homme, de la société et de l’action, avec des dirigeants qui assument leurs responsabilités.

D’autres engagent des actions publiques centrées, fondées sur des objectifs circonscrits, dans une perspective limitée, avec des contre-propositions concrètes : l’opposition à une loi, à une injustice (l’IVG, l’homo-parentalité…). Cette démarche doit rester humble et se garder de tout complexe de supériorité partisane et de la tentation de transformer leur cause particulière en parti du Bien (l’action des partis a sa légitimité, mais c’est un autre exercice). Toute opposition juste sert le bien commun, pas une cause, a fortiori des ambitions personnelles.

Maîtriser le conflit

Dans tous les cas, la difficulté de l’opposition publique réside en ceci : dès lors qu’il y a opposition, même physiquement non-violente, il y a conflit et instrumentalisation du conflit. Qu’on le veuille ou non, la réponse aux agressions politiques à répétition comme celles que la société civile subit en France aujourd’hui, ne peut échapper à la dialectique de la violence. Violence que l’agresseur a tout intérêt à retourner en sa faveur, ne serait-ce que pour se dédouaner. C’est un classique de la propagande révolutionnaire : le violent accuse de violence le non-violent, et le bourreau se fait passer pour la victime.

Au-delà du mécanisme provocation/répression/réaction, le corps social lui-même est pris en otage par l’agresseur pour durcir la confrontation, dans la dynamique de son discours idéologique : les droits de l’homme et la paix, c’est lui ; l’inhumanité, c’est l’autre.

S’agissant de l’avortement, par exemple, la dimension sociale du drame n’est pas un mot, c’est la réalité. L’agression est politique et appelle une réponse politique.  Mais elle touche à des vies, des familles, des épreuves humaines immensément répandues : quand près d’une femme sur deux a subi un avortement en France, la cruauté de ces tragédies touche pratiquement n’importe quel groupe. Dans ce contexte, faire nombre avec des slogans n’est pas une solution, surtout quand les idéologues vous guettent pour jeter de l’huile sur le feu des sensibilités écorchées vives. Des forces politiques malhonnêtes instrumentalisent ces drames en terrorisant la véritable liberté de jugement des personnes. Qui aujourd’hui dans la rue, ose dire que l’IVG n’est pas un « droit » ?

Mais c’est ainsi, et il faut agir en connaissance de cause : « question de contexte », dirait le pape François.

La juste violence

Dans ce climat,  comment tenir compte des effets de la violence politique et de l’état de la société, pour se faire justement entendre, et conquérir les cœurs tout en sachant que chaque initiative sera interprétée et instrumentalisée pour creuser le conflit et décrédibiliser cette cause ? Il n’y pas de recette miracle. Il faut rappeler ici encore l’importance cruciale de la réponse par la charité en acte. Elle seule donne autorité et légitimité aux paroles et à l’expression politique.

L’objectif n’est pas de rendre coup pour coup, mais précisément de sortir de l’enfermement dialectique. Il s’agit de convaincre, et, à défaut de convaincre, de rendre public le témoignage de son opposition avec justesse.

S’il faut descendre dans la rue, les critères de la juste violence (jus in bello, si l’on veut) doivent nous éclairer, même si notre violence, on l’aura compris, n’est aucunement physique. Pour être clair, un Veilleur immobile et muet debout devant le ministère de la Justice exprime une certaine violence publique, précisément en raison du contexte dialectique violent de l’agression politique qu’il condamne. Mais nul ne contestera la justesse de sa violence, ainsi que sa « proportion ».  Dit autrement, sa violence pacifique est désarmante. Et le piège politico-médiatique se retourne.

Peut-il en être de même pour une manifestation collective s’opposant au pouvoir légal ? Les conditions de sa légitimité sont dans la proportion de ses moyens et de ses objectifs :

1/ elle doit s’opposer à une injustice précise, grave et répétée ;
2/ comme celle du Veilleur, sa contre-violence relative, par exemple en terme de trouble à l’ordre public, doit être moindre que celle à laquelle elle s’oppose ;
3/ ses chances de succès relativement à ses objectifs doivent être réelles, sans effets contreproductifs dans l’ordre du bien commun et, pour le coup, pour sa propre cause.

Solidarnosc

Ne rien céder, mais vaincre le mal par le bien, toujours (cf. Rm 12,21), c’est l’enseignement pratique que nous ont laissé nos aînés dans la résistance, nos frères de Solidarnosc.

Le père Jan Sikorski, ancien aumônier du syndicat polonais l’a bien expliqué : toute résistance politique active libère des énergies généreuses et débordantes mais qui peuvent se retourner contre elles si elles ne sont pas maîtrisées. Elle peut en outre attirer dans son sillage des forces qui n’ont pas nécessairement une éthique de l’action enracinée dans la charité et la vérité. D’où la nécessité d’une organisation claire, qui sait discerner le bon grain de l’ivraie, qui contrôle ses troupes et qui assume ses responsabilités. On ne reconstruit jamais une société dans la spontanéité floue, même généreuse ou, plus grave, en spéculant sur le chaos.

La bataille sera longue, et la victoire se construira pas à pas.

 

 

Pour en savoir plus :
Le témoignage du père Jan Sikorski, aumônier de Solidarnosc, un exemple pour la résistance politique en France
Un entretien avec l’équipe de LMPT76, diffusée par le Salon Beige et Ichtus

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