Le macronisme carbonisé, que peut faire Emmanuel Macron ?

Le niveau métapolitique qui touche aux représentations indispensables pour faire peuple, ethnos et demos, est le fond de la crise majeure qu’affronte le pouvoir d’Emmanuel Macron. Le Président a-t-il les moyens de répondre à ce défi ?

LA VICTOIRE des Gilets jaunes conclut en terrifiant gâchis les dix-huit premiers mois de la présidence Macron. Plus que la violence condamnable de la rue, le désarroi du pouvoir est le signal le plus inquiétant face au malaise profond de la France périphérique. Le gouvernement et sa majorité sentent que leur légitimité est mise en cause et qu’au-delà, c’est toute leur ligne ultralibérale, mondialiste et européiste qui est sur la sellette. La question qui se pose est tout simplement celle-ci : Emmanuel Macron peut-il y renoncer sans se parjurer ? S’il le fait, la majorité qui l’a élu sur ce programme peut-elle le suivre ? Comment peut-il maîtriser la crise et éventuellement rebondir ?

Les sacrifiés de la mondialisation heureuse

Si les bourgeois sont de droite ou de gauche, « il n’y a pas de peuple de droite et de peuple de gauche. Il n’y a qu’un peuple », nous dit Bernanos, d’accord avec Péguy. Le « ni droite ni gauche » macronien ne peut qu’avoir ce sens unique : un sens auquel malheureusement il est absolument imperméable. Les Gilets jaunes sont le peuple des sacrifiés de la mondialisation heureuse ; celui des ensouchés réfractaires aux injonctions multiculturalistes ; celui d’Astérix, des Tuche, Bidochons et autres Dupont-Lajoie ridiculisés par la cuistrerie médiatique ; celui des cocus de la démocratie dont la volonté exprimée par référendum est chaque fois bafouée ; celui des dépositaires de la résilience de l’ethnos qui veut reprendre sa place légitime dans le démos à travers un retour de démocratie participative pour affirmer la nation comme « plébiscite de tous les instants ». Ce peuple pour qui l’aspiration à la souveraineté est la condition de recréation du lien social et des solidarités traditionnelles qu’il retrouve sur les ronds-points. Peuple en mal de solidarité, étranger aux requêtes de l’hyper-individualisme bobo et piétiné par le communautarisme des banlieues. Peuple qui récuse la transformation de l’État selon la logique de l’entreprise et son assujettissement aux puissances d’argent. Le peuple qui pleure Johnny à la Madeleine et chante la Marseillaise devant l’Arc de triomphe. Faut-il y ajouter la France catholique de la Manif Pour Tous et de Frigide Barjot ? Et les classes moyennes laminées par une fiscalité erratique ?

On a souligné les demandes contradictoires des Gilets jaunes. Il est d’autant plus nécessaire de déterminer à quel niveau elles trouvent leur cohérence. Le niveau métapolitique qui touche aux représentations indispensables pour faire peuple, ethnos et démos, est le fond de la crise majeure qu’affronte le pouvoir d’Emmanuel Macron. A-t-il les moyens de répondre à ce défi ?

Fragilité essentielle du pouvoir macronien

L’inquiétant est que ce pouvoir présente de nombreuses failles. Incarné dans un chef présumé charismatique, ce pouvoir arrive au bout d’une dérive de la constitution de la Ve République que le quinquennat a fait glisser du régime semi-présidentiel initial à un régime présidentiel, avec un Premier ministre exténué et un Président en première ligne dépourvu de l’autorité surplombante, paternelle et royale qui était l’intuition du fondateur. Que ce pouvoir se trouve confisqué par une oligarchie de technocrates qui récusent le politique au profit de l’économique explique l’abandon des périphéries considérées comme une réserve ethnique résiduelle à obsolescence programmée. Cela au profit des populations des banlieues vassalisées à coup de milliards, nouvelle classe messianique, et des premiers de cordée des centre-villes boboïsés. Sommes-nous encore en République, se demande le peuple des Gilets jaunes ?

La légitimité de l’accès au pouvoir d’Emmanuel Macron est problématique. Le coup d’État anti-Fillon exécuté par la République des juges a frustré les Français du débat politique fondamental qu’ils attendaient. Affronter Marine Le Pen au second tour était la condition de la réussite de l’OPA Macron sur la République. Pour rejeter dans les ténèbres extérieures ce peuple qu’on ne saurait voir. Comme le résume Patrick Buisson, « la France des ronds-points a fini par comprendre que la crise de la démocratie française est celle d’un système qui en usurpe le nom pour désigner la privatisation des moyens de gouvernement par une minorité résolue à exclure le peuple du processus de décision ». Le premier tour de l’élection a mis en tête les partis protestataires avec 48% des voix, les partis dits de gouvernement se partageant le reste, lesquels partis protestataires n’obtiennent aux législatives suivantes que 4% des sièges. L’imposture du débat du deuxième tour de la présidentielle entre une candidate par défaut, qui ne connaît pas ses dossiers, et un candidat arrivé malhonnêtement en finale a rendu l’imposture manifeste, soulignée par le record des 57% d’abstention. Malaise dans la civilisation !

L’obsolescence programmée du Nouveau Monde

La posture jupitérienne affichée par le jeune président de la République séduisait par une verticalité restaurée. Les séquences catastrophiques qui se sont succédées depuis la fête de la musique ont ruiné cette image d’autorité. Emmanuel Macron, c’est l’itinéraire d’un enfant gâté dont les saillies, comme autant d’actes manqués, dévoilent une sorte d’autisme vis-à-vis du peuple substantiel. Son hall de gare où l’on distingue « ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien » trahit son impossible empathie pour un peuple attaché à ses racines et à sa culture. Elles révèlent un manque de maturité et une fragilité psychologique, mais ce qui est plus grave, la méconnaissance de la finalité même du service politique dont la raison d’être est la protection des plus faibles. On est en droit de se demander si après l’épreuve personnelle qu’il vient d’encaisser, le Président saura trouver les ressources psychologiques et morales qui permettraient une sortie par le haut.

Cela sur fond de fragilité idéologique, car le discours « ni droite ni gauche » de la République en Marche recoupe une parfaite synthèse des deux partis de gouvernement LR et PS justement récusés par le dégagisme populaire. Il en est l’ultime figure : sur fond de social-démocratie exténuée, LREM tricote le discours de l’ultralibéralisme libertaire et de la démocratie consumériste : celui-là même que vomit le bon peuple pour attentat contre le lien social… et pour déni de réel. Grâce à une campagne participative qui invoquait un Nouveau Monde, on n’a pas vu l’obsolescence programmée à court terme du logiciel macronien, qui n’est que le crépuscule du Vieux Monde modèle 68 qu’évoque Bruno Retailleau : « Illusion de la fin du travail avec la retraite à 60 ans et les 35 heures ; le mythe de la mondialisation heureuse… ; le mirage de l’individualisme avec l’explosion de nos communautés humaines qui formaient autant de couches de protections intermédiaires… »

Quelles marges de manœuvre pour le chef de l’État ?

Le déphasage du macronisme avec ce moment de basculement historique lui interdit a priori une saine analyse de ce mouvement qui monte des entrailles d’un peuple de longue mémoire. C’est l’obstacle dirimant à la compréhension du phénomène qui rend difficile la sortie de crise. Au manque d’enracinement de nos élites dans la longue histoire, s’ajoute celui d’une majorité parlementaire largement hors-sol, sans ancrage territorial et sans culture institutionnelle — la mauvaise appréciation de « l’État profond » en est un symptôme — et de l’absence autour du Président d’un vivier où renouveler les ressources humaines. Macron peut-il être un Clovis capable de brûler ce qu’il a adoré ? Mais le serait-il, comment sa majorité pourrait-elle consentir à un tel virage ?

Le danger d’une révolte anomique qui refuse toute représentation est double : l’incapacité à formuler des priorités en acceptant le dialogue démocratique et la dérive violente qu’entraînent colères et passions. Il est préoccupant pour notre santé politique que la victoire des Gilets jaunes soit le fruit de la violence. La surdité de l’État l’a rendue inévitable : c’est sa grave responsabilité. Elle impose au pouvoir d’engager une négociation où il peut reprendre la main, mais il ne pourra se contenter de miettes jetées pour calmer les ardeurs et conjurer la révolution menaçante. Il doit mettre sur la table toutes les difficultés éprouvées depuis des décennies par la France d’en-bas et honorer la parole présidentielle : « Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies, comme trop souvent par le passé dans des crises semblables, sans que rien n’ait été vraiment compris et sans que rien n’ait changé. » Si, le poisson noyé, il devait en être autrement, alors « Rome, prend garde à la colère des légions » !

Pistes de sorties de crise

En dix-huit mois de pouvoir, la présidence Macron a carbonisé le macronisme « progressiste », notamment sa posture de leader européen du modèle bruxellois présumé intouchable. Les élections européennes de 2019 peuvent lui être fatales. Ce que révèle la crise des Gilets jaunes est l’existence dans le pays d’une majorité de l’élément conservateur. Persister dans le rejet de ce conservatisme présumé « nationaliste » en l’opposant au macronisme « progressiste » ne peut qu’aggraver la fracture et laisse le champ libre aux surenchères populistes, aux réponses autarciques aventuristes. Le défi du président Macron est maintenant la prise en compte de ce conservatisme s’il veut sauver son mandat, et donc la proposition d’une nouvelle vision politique.

Du point de vue économique et social, le mea culpa macronien du 10 décembre ne peut se réduire à des mesures d’urgence qui calment la douleur mais amplifient le mal, comme la hausse de 10% du SMIC qui entraînera mécaniquement la hausse du chômage. La préservation de notre modèle social, qui est spécifiquement notre modèle national, est un bien commun auquel les Français sont attachés. Pour être défendu, il a besoin de corps intermédiaires représentatifs qu’il s’est trop appliqué à bouter hors-jeu. Le discours du gaullisme social soutenu aujourd’hui par le seul Nicolas Dupont-Aignan doit retrouver sa place dans l’offre politique.

La question fiscale du consentement à l’impôt est devenue, comme dans l’Angleterre de la Grande Charte de 1215, une question centrale. Elle pose celle de la représentation nationale, trop en phase avec l’idéologie dominante, et rejoint celle du référendum d’initiative populaire, demande devenue centrale chez les Gilets jaunes. Articuler les corps intermédiaires, politiques et sociaux, avec l’expression de la vox populi en dehors des rendez-vous électoraux, est un enjeu important qui nécessite des arbitrages subtils. On pourrait simplement étendre le champ référendaire existant déjà dans la Constitution pour ne pas contredire la logique interne de la Ve République et l’équilibre des pouvoirs. A condition de respecter le suffrage du peuple.

Refuser la politique du pire

Revenir au septennat redonnerait au Président l’autorité de père de la nation réduite aujourd’hui à la verticalité jupitérienne, symbole d’une toute-puissance de mauvais aloi. Ce pouvoir doit être celui d’une république tempérée qui prenne sérieusement en compte l’élément conservateur nécessaire pour faire société.

Le « Macron démission » serait la politique du pire. En disqualifiant définitivement l’État, elle causerait des dommages irrémédiables au bien commun et ouvrirait la boîte de Pandore des extrêmes. Les réformes réalisées dans les dix-huit derniers mois, si insuffisantes soient-elles, ont montré une vraie volonté politique. Il faut aider le Président à reprendre la main pour préserver l’unité nationale aujourd’hui menacée par les contradictions internes de l’ultralibéralisme qu’il incarne à ce jour, par la révolte de la France profonde et par la sécession des banlieues livrées à l’islamisme conquérant qu’on refuse à voir. Face à cette crise polymorphe et durable, la Constitution exige de lui qu’il incarne l’unité et lui en donne les moyens.

E. Tr.

 

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